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on n’aurait pas tardé à voir où il voulait ramener la société française, — à moins pourtant que la semence révolutionnaire qui était restée dans le sol n’eût fructifié de nouveau à la faveur de la paix, et n’eût rongé intérieurement les fondations de l’édifice impérial. Il n’a pas eu le temps de montrer au monde et à l’histoire quel admirable successeur avait trouvé en lui l’ancien régime, et combien il était digne de s’asseoir sur le trône de la vieille royauté française en posant sur sa tête le diadème des césars. Son œuvre de reconstruction monarchique est restée incomplète sous le rapport social ; mais au point de vue politique elle était pleinement terminée le jour de sa chute. Il avait anéanti la liberté sous toutes ses formes, il en avait effacé jusqu’aux dernières traces inoffensives, il en avait étouffé jusqu’au fond des consciences les secrètes velléités et les regrets impuissans. Il nous avait rendu en fait de liberté notre robe virginale, et, revenus à notre état d’innocence première, nous eûmes à recommencer notre apprentissage. Tout était à refaire et tout était remis en question.

Il n’en est point de même à présent. Le second empire, Dieu merci, ne nous a pas pétris aussi fortement à son image. Grâces d’ailleurs lui en soient rendues, il est bien loin de nous avoir ramenés à notre état d’innocence naturelle. Nous sommes des pécheurs pénitens qui ont humblement expié leurs fautes, mais qui n’ont pu rompre avec le vieil homme. Le péché a conservé en nous des attaches secrètes et obstinées. Pour avoir perdu le goût et le regret de la liberté, nous n’en avons pas abjuré formellement les croyances. Nous n’avons pas cessé de rendre hommage au principe de la souveraineté populaire, alors même que nous cherchions à l’éluder ou à l’abattre. Une tradition libérale affaiblie, mais invaincue, a persévéré jusqu’à nous dans l’éclipsé même de nos libertés. Enfin, pendant que les classes moyennes s’engourdissaient dans leur bien-être, l’aisance et l’instruction qui pénètrent dans les classes populaires y élevaient peu à peu le niveau des esprits et des caractères. En un mot, rien n’a été fait pour accélérer le progrès des temps, mais rien non plus n’a pu l’interrompre, et nous pouvons dire sans vanité que la France de nos jours, bien qu’à moitié endormie encore, se trouvera, dès l’heure de son réveil, plus mûre pour la démocratie que la France de 1814 ou même celle de 1830.

La raison d’ailleurs en est simple et doit frapper tous les esprits. Le second empire ne voulait pas être la copie dû premier, et il ne pouvait pas, quand il l’aurait voulu, façonner aussi aisément la France à l’ancien moule impérial. Ses prétentions étaient plus bourgeoises ; ses titres à l’admiration et à la reconnaissance du pays étaient d’un ordre plus modeste et moins imposant. Sa puissance, était moins