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par la voix de M. Royer-Collard, son oracle : « Les incapacités ne sont ni personnelles ni définitives, elles ne sont que suspensives et temporaires ; » mais à partir de 1830 il sembla que l’oligarchie électorale, au lieu de s’étendre et de s’élargir suivant le vœu du pays, serrât chaque année ses rangs davantage et se montrât plus fière et plus dédaigneuse envers- ceux qu’elle avait exclus. Au lieu de se rapprocher du but, elle paraissait s’en éloigner tous les jours. Simple plutocratie composée d’élémens mobiles et grossie sans cesse d’hommes nouveaux, elle contractait tous les sentimens, tous les préjugés, toutes les prétentions étroites d’une aristocratie de naissance. Cette avant-garde de la démocratie, montée la première à l’assaut des privilèges, au lieu de tendre la main à ceux qui venaient après elle pour les aider à s’introduire dans la place, s’était postée d’un air menaçant sur la brèche, et avait pris l’attitude hautaine d’une arrière-garde de l’ancien régime. Assurément cette parodie d’un temps qui était passé pour jamais n’avait rien de bien redoutable pour l’avenir de la démocratie moderne. Faut-il s’étonner pourtant que le peuple ait pris en méfiance ces compagnons d’armes qui reniaient son alliance ? Faut-il s’étonner que les inimitiés des classes aient persisté dans un temps où elles n’avaient plus de raison sérieuse, et que le châtiment, comme toujours, ait de beaucoup dépassé la faute ?

Rudement réveillée par la secousse formidable qui termina son règne, la bourgeoisie se remit à l’œuvre, et la nécessité lui fit déployer de nouveau des qualités vraiment grandes. Sans autres ressources que celles qu’elle puisa dans son énergie, dans le sentiment de son devoir et dans l’imminence même du danger, elle sut conserver l’ordre au milieu de ce terrible bouleversement. Surprise par l’avènement du suffrage universel sans avoir eu le temps ni de protester ni de se recueillir, elle sut d’un jour à l’autre s’y accommoder, le discipliner, l’intimider par sa fermeté, le gagner par la persuasion, et à la fois s’en rendre maîtresse sans lui imposer aucune contrainte. Après les fluctuations inévitables qui suivent toujours les grandes commotions sociales, on vit le suffrage universel, à la faveur d’une liberté presque sans limites, envoyer à l’assemblée nationale une majorité de représentans conservateurs. On put même espérer que la république allait se fonder d’une manière durable ; mais, hélas ! la pure démocratie était alors trop contraire aux mœurs de la France. L’effort du premier jour s’épuisa vite ; la confiance se retira au moment même où la victoire était assurée. Tout en imprimant au suffrage universel une direction sage, on ne cessa pas d’en avoir peur. D’abord on n’avait songé qu’à se défendre ; dans le premier feu de la bataille, on n’avait pas eu le loisir de craindre. Quand la paix fut revenue, la réflexion