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vous ai écrite ce matin. C’est un M. Bert, Genevois, négociant et très brave homme… S’il me rapporte un oui de vous pour me projets, je sens que je lui en saurai gré toute ma vie. — Je vous dis mille tendres amitiés pour la troisième fois depuis quatre jours. »


« Ce 26 avril (1812 ?).

« J’ai été bien touchée, mon cher Camille, du billet que j’ai reçu de vous. Vous avez dû voir que je vous avais prévenu et que la lettre de lady Webb m’avait vivement inquiétée. Je vous demande encore un petit mot sur la santé qui vous est si chère et à laquelle je prends un intérêt si vrai. — J’ai été moi-même bien souffrante et je ne sais trop si je me guérirai ; mais ma vie est si triste qu’elle ne vaut pas trop que l’on s’en occupe. — Voulez-vous me renvoyer le livre de Goethe[1] ? Il y a une personne ici qui voudrait le traduire. Je ne le trouve guère meilleur que vous ; mais il a un grand succès en Allemagne, et le succès inspire toujours le désir d’en connaître la cause. — Mais de quoi me mets-je à vous parler ? Comme toute la littérature du monde paraît chose frivole à côté d’un sentiment du cœur ! — Je ne vous demande que deux lignes ou plutôt qu’un bulletin. — Auguste est à Châlons depuis quinze jours[2]. Je l’attends à toutes les minutes.

« Renvoyez-moi le livre de Goethe sous bande, comme vous l’avez reçu. — Adressez à Genève, dépt du Léman. »


Nous revenons un peu en arrière. Le grand moment, le moment décisif pour Mme de Staël en ces années fut celui de son livre de l’Allemagne. Elle avait conçu le projet assez étrange de passer en Amérique, tant c’était pour elle un poids insupportable que le chagrin solitaire ! Mais elle aurait eu une grande consolation, si elle avait pu laisser en partant son Allemagne publiée, lue, débattue dans les salons, dans les journaux, et occupant la renommée : un succès lui eût peut-être fait changer de projet. L’ouvrage tirait à sa fin. Tout occupée de le terminer, elle comptait bien le faire imprimer à Paris sans encombre. Pour cela, elle était allée s’établir près de Blois, dans l’antique château de Chaumont-sur-Loire, et de là elle écrivait à Camille :

  1. Il s’agit de l’Autobiographie (Poésie et Vérité), la première partie, qui parut en octobre 1811, mais qui ne vint qu’assez tard aux mains de Mme de Staël. « En ce temps-ci, disait-elle à ce propos, les voyages des livres ne sont guère plus libres que ceux des personnes. »
  2. Nous savons qu’Auguste de Staël alla deux fois à Châlons pour y rendre visite à Mme Récamier exilée, qui passa dans cette ville les derniers mois de 1811 et les premiers mois de 1812. C’est cette circonstance qui indique la date probable de ces billets de Mme de Staël.