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efficace, le seul qui suffise à la guérison. Tous les autres sont impuissans quand on néglige celui-là, et ils deviennent inutiles aussitôt qu’on l’emploie. De ce nombre est le système bien connu du suffrage à plusieurs degrés, idée certainement spécieuse et séduisante, et qui surtout paraît reprendre faveur depuis l’avènement du suffrage universel. Beaucoup d’esprits éclairés, appartenant pour la plupart à cette opinion libérale que les docilités de la démocratie n’effraient pas moins que ses violences, en sont venus à cette conclusion qu’une certaine hiérarchie électorale est le seul moyen qui nous reste pour ramener à la raison le nouveau souverain de la société moderne, sans cependant porter atteinte aux droits qu’on lui a reconnus. Nous ne saurions, quant à nous, approuver ce système, car nous pensons avec M. Stuart Mill que c’est là un de ces subterfuges fâcheux qui compromettent une cause sans la servir. Ce n’est pas à dire cependant que nous partagions absolument les préventions injustes de certains démocrates français qui regardent l’élection à deux degrés comme un piège tendu par la bourgeoisie aux classes populaires et comme une confiscation détournée de la souveraineté du suffrage universel. Ici encore nous nous entendons plus aisément avec les démocrates utilitaires et raisonneurs de l’école anglaise qu’avec leurs frères les démocrates sentimentaux du continent. Quand nous repoussons le suffrage à deux degrés, ce n’est pas que nous y découvrions rien de déloyal ou de perfide, c’est simplement parce que nous le croyons aussi inutile qu’inoffensif. Si les deux degrés pouvaient servir à discipliner la démocratie et à donner plus d’ascendant aux influences morales qui s’en disputent l’empire, ce n’est pas nous assurément qui ferions fi de cet avantage ; mais nous n’y pouvons voir qu’une de ces formalités vaines, un de ces rouages de luxe qui compliquent le mécanisme électoral sans en changer en rien le mouvement. Si la vie politique ne pénètre point jusqu’au fond du corps électoral, le suffrage universel, de quelque façon qu’on l’organise, ne peut pas être une institution sérieuse ni un appui solide pour les gouvernemens tirés de son sein ; il passera toujours par les mêmes alternatives d’obéissance machinale ou d’aveuglement furieux. Si au contraire le suffrage universel s’élève à l’intelligence de ses droits, s’il apprend à s’intéresser aux affaires publiques, comment croire qu’il ne veuille pas s’en occuper lui-même et sans accepter d’intermédiaires entre lui et ses mandataires élus ? Comment s’imaginer qu’il puisse jamais consentir à déléguer aux citoyens investis de la fonction du suffrage autre chose qu’une apparence de pouvoir paralysée par un mandat impératif ? Le vote à deux degrés ne sera plus alors qu’un procédé électoral sans inconvéniens comme sans avantages, une forme