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L’organisation des partis n’est ni la confusion ni la tyrannie ; ce n’est pas, comme on le prétend, l’organisation de la guerre civile ; ce n’est pas non plus une façon détournée d’imposer à la démocratie cette espèce de captivité universelle qu’on nous représente comme le seul moyen d’échapper à l’anarchie : c’est à la fois le résultat le plus heureux et la meilleure sauvegarde des libertés publiques, c’est la plus solide garantie de l’ordre et de la sécurité des pays libres ; c’est en un mot l’exercice naturel de l’instinct le plus utile qui ait été donné à l’homme, celui de se réunir à ses semblables et de travailler avec eux pour le bien commun.

Il y a en effet deux manières de faire régner la paix parmi les hommes : la première consiste à les enchaîner séparément et à leur interdire tout commerce, toute dispute, tout échange même bienveillant de services ou de paroles ; la seconde consiste à les réunir, à leur montrer leurs intérêts véritables et à laisser libre cours à leurs discussions jusqu’à ce qu’ils aient nommé des arbitres ou conclu eux-mêmes des conventions pacifiques. Dans le premier cas, l’accord est tout extérieur, et il doit cesser avec les causes matérielles qui le. main tiennent ; dans l’autre cas au contraire, il repose sur des besoins communs, sur des promesses mutuelles, sur un concert de volontés intelligentes. Le litige se poursuivra tant que les intérêts ne seront pas conciliés, mais suivant les règles établies par le consentement des parties. De cette façon, une sorte de légalité s’introduira dans leurs disputes, et ces ennemis que tout à l’heure il fallait enchaîner pour les empêcher d’en venir aux mains deviendront des plaideurs paisibles, tout occupés de gagner l’oreille de leur juge, c’est-à-dire la faveur de l’opinion publique. Grâce à l’habitude de délibérer et d’agir en commun, la passion de l’intérêt collectif remplacera celle de L’intérêt personnel, le sentiment du droit et de la discipline succédera à cette farouche indépendance primitive qui ne pouvait se dompter que par la servitude. Il se formera enfin au sein de cette foule d’abord confuse deux ou trois groupes appelés partis qui finiront par l’englober tout entière, qui se surveilleront, se contiendront incessamment les uns les autres, et qui, tour à tour vainqueurs et vaincus, remettront d’un commun accord le jugement des procès qui les divisent au tribunal suprême de la majorité.

Telle est l’histoire de tous les peuples libres, et c’est là le miracle fort naturel qu’une puissante organisation des partis est seule capable d’accomplir au sein de la démocratie moderne. Elle seule peut, sans confisquer les droits de la souveraineté populaire, sans porter atteinte aux libertés publiques, en s’appuyant au contraire sur ces libertés mêmes, imprimer à la démocratie cette