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liens du voisinage, tout ce qui rapproche les conditions, tout ce qui fait connaître de plus près l’homme à l’homme dans les divers degrés de la société, tout cela est un lien ou un adoucissement aux souffrances sociales. Nous avouons qu’à se voir et à se toucher de plus près l’égoïsme d’en haut et l’égoïsme d’en bas se détestent davantage ; mais quoi ! n’y a-t-il que des égoïsmes rivaux ici-bas ? Non, il y a aussi des gens qui aiment leurs semblables, qui se dévouent à soulager leurs maux, à éclairer leur ignorance. Nous ne sommes ni en enfer ni en paradis, nous sommes en purgatoire ; nous avons tous du bien à faire et du bien aussi à recevoir. Dans cet état moral, qui est médiocre et non mauvais, il faut laisser l’homme s’ouvrir et s’attacher à l’homme selon le penchant de la nature humaine ; il faut bien se garder de créer des classes rivales et d’élever entre elles d’épaisses cloisons de préjugés et de rancunes ; il faut que le gouvernement ne mette pas une prudence malavisée à se représenter aux gens d’en haut comme leur sauveur contre les colères de la foule, et aux gens d’en bas comme leur défenseur contre les malveillances des heureux du monde. Les cités ouvrières n’ont pas réussi, et nous félicitons la sagesse des ouvriers d’avoir répugné à ce classement par domicile. Nos maisons ont beaucoup d’étages à Paris, parce qu’il y a aussi beaucoup de degrés dans la société, et il est bon que tout le monde se rencontre sur le même escalier.

Il est possible que dans les commencemens les ouvriers et surtout les affiliés de l’Association internationale aient été flattés de la faveur que ces cités ont rencontrée ; mais cela a eu pour eux deux inconvéniens : d’une part, ils ont eu des espérances très exagérées, ils ont cru qu’ils avaient un pouvoir social, et ils ont voulu s’en servir avec indépendance : ils n’ont pas compris qu’ils étaient protégés pour servir ; ils n’ont pas voulu supporter d’être les instrumens d’une puissance autre que la leur. Alors sont venus les désappointemens, puis les poursuites judiciaires. Ç’a été le second désappointement ; ils se sont plaints qu’on les ait attirés d’abord et repoussés ensuite. Leur déconvenue les a naturellement mécontentés plus que leur faveur ne les avait satisfaits. Peut-être y a-t-il des endroits où on les traite d’ingrats, et ils se croient dupes.

En Belgique et en Suisse, la question est violente, mais elle est simple. Il y a d’un côté les ouvriers, de l’autre les patrons ; ils luttent ou ils discutent. Quand les heures du combat seront passées, il faudra bien en revenir aux transactions, et les transactions se feront par le mouvement naturel de la liberté, qui s’effarouche et s’emporte pour s’adoucir et se calmer ensuite. Il n’y a pas entre les deux parties un faux arbitrage qui apaise un instant les querelles, mais qui ne les termine pas, parce que chaque parti espère avoir pour soi l’arbitre. Cette entremise oscillatoire ne peut pas non plus réussir longtemps. Elle perd son utilité le jour où elle perd son crédit, le jour où les deux parties contendantes, se