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imposer la grève par la force. Comme dans le canton de Genève l’industrie n’est pas seulement concentrée dans la capitale, mais est aussi répandue dans les campagne, le travail. agricole, le plus libre et le plus individuel du monde, est venu prêter main-forte aux ateliers que voulaient envahir les faiseurs de grève. Il y a eu là en effet, comme partout, les meneurs, qui voulaient la grève, et les travailleurs paisibles, qui la repoussaient comme étant le fléau de l’industrie et des familles industrielles. Les travailleurs de la terre sont venus secourir les travailleurs du métier qui se trouvaient près d’eux, dans leurs communes, et que la grève voulait violenter. Il y a donc eu en Suisse le très bon exemple de la société se défendant par elle-même et du vrai peuple luttant contre le faux peuple.

À Dieu ne plaise que nous craignions ou que nous blâmions l’armée qui vient au secours de la société menacée ! nous nous souvenons des grands services qu’ont rendus à la société française en 1848 et en 1849 l’armée et les généraux d’Afrique, les Cavaignac, les Lamoricière, les Changarnier ; mais nous aimons aussi beaucoup que la garde nationale partage avec l’armée les fatigues de la défense sociale. Ç’a été l’honneur de la garde nationale de Paris et de la banlieue, de 1830 à 1840, d’avoir partagé les périls de la ligne dans les émeutes, et d’avoir aussi mêlé son sang à celui de nos soldats. Le général Bugeaud disait un jour à l’un de ses amis, le lendemain d’une émeute : Avez-vous été hier avec la garde nationale ? — Certes, oui ! général. — Et avez-vous tiré ? — Non ! Je ne suis pas encore très exercé, et je craignais de blesser mon voisin. — Après tout, ce que je demande à la garde nationale, ce n’est pas tant de savoir tirer un coup de fusil que de savoir en recevoir.

Nous citons ces souvenirs d’autrefois parce que nous pensons qu’avec la garde nationale mobile, qui sera la société armée, qui le serait tout à fait, si elle nommait ses officiers, la société saura dans chaque canton se défendre par elle-même contre tous les violentemens du travail libre, parce que nous pensons que dans la garde nationale mobile l’esprit du foyer et du champ paternel l’emportera toujours sur l’esprit de caserne et de bivouac. Le succès de la garde nationale mobile dépend en France de son caractère essentiellement local et cantonal. En dispensant la garde nationale mobile dans ses exercices de tout déplacement lointain, de tout découchement même d’un jour, la loi militaire a voulu épargner à cette garde des pertes de temps et d’argent ; elle a peut-être créé, sans le savoir, un grand principe politique. Dans tout Français, il y a aisément un soldat ; mais dans tout soldat il n’y a pas toujours un citoyen. Il est possible que la garde nationale mobile rapproche l’un de l’autre.

En parlant de la discussion et même de la lutte qui, dans le canton de Genève, s’établit entre le vrai et le faux peuple des ouvriers, nous nous bornons à répéter les sentimens d’une adresse aux ouvriers de Genève