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actif. Il a été ensuite gouverneur de Kasan, puis il est resté quelque temps effacé, soit par suite de maladie, soit pour toute autre raison. Il faisait volontiers parade d’un libéralisme en disponibilité. Il était encore en France il n’y a pas longtemps, lorsqu’il fut appelé pour entrer au ministère des postes, et en se rendant à Pétersbourg il passa, dit-on, à Bade pour voir M. Milutine. C’est un libéral de la même école, de plus un homme ambitieux et habile, destiné peut-être à un rôle brillant. Ainsi le parti de la nouvelle Russie gagne chaque jour en influence. La disgrâce de M. Valouief est sa plus récente victoire, et il a certainement des chances, si, comme on le dit, le tsarévitch est tout à fait dans les idées de M. Katkof, si, comme on l’assure encore, la femme du futur empereur, la princesse Dagmar, s’est elle-même adonnée tout entière à ces influences. Il y a bien de quoi ouvrir de flatteuses perspectives devant le rédacteur de la Gazette de Moscou, choyé tout à la fois par l’empereur et par le grand-duc héritier.

Ce n’est pas l’orgueil qui manque à ce parti grandissant. Il voit déjà pour la Russie des destinées merveilleuses. A ses yeux, il n’y a que la civilisation russe. L’Occident est fini, c’est la grande patrie slave qui s’avance, et il y a peu de jours encore, dans son impatience de propagande, M. Katkof en était à ouvrir toute sorte de souscriptions, « au profit de la solidarité slave, » pour « les Croates opprimés, » pour subvenir à « l’entretien des écoles, russes chez les Slovènes. » La Russie est un grand empire, je le veux bien. Par malheur, au moment où on fait pour elle de si beaux rêves, voilà la réalité tragique qui se fait jour et qui se dresse comme une ombre redoutable. C’est la famine qui éclate dans une grande partie de l’empire. Le terrible fléau a paru concentré d’abord dans les gouvernemens du nord, puis il a gagné les gouvernemens du nord-est qui avoisinent la Sibérie, puis il a fini par se répandre dans les provinces centrales considérées comme les plus riches, Toula, Tver, Orel, Riasan, Smolensk, etc. ; au midi, il va jusqu’à Tambov. Il y a maintenant dix-neuf gouvernemens en pleine famine, menacés de mort. Il n’y a plus de grains ni pour manger ni pour semer. Des milliers de paysans n’ont d’autre ressource que de faire un pain grossier avec le chaume de leurs toits mêlé à un peu de farine d’avoine qui leur reste, et ceux-là sont encore les plus heureux ; beaucoup d’autres sont réduits à se nourrir de mousse, d’écorce d’arbre. Ces malheureux meurent de faim, du typhus, dans leurs cabanes, ou se réunissent par bandes courant les chemins. Encore aujourd’hui l’hiver est une saison favorable où on peut faire arriver quelques ressources ; demain, avec le dégel, toutes les communications seront impossibles. Ces malheureuses populations risquent