Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/758

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vu dans cette courte session, si brusquement interrompue, moins une manifestation sérieuse répondant à un instinct profond qu’un spectacle sur lequel la toile pouvait tomber sans émouvoir personne, et c’est là justement une remarque à faire : dans la vie politique ou dans ce qu’on nomme la vie politique de la Russie nouvelle, les institutions n’en sont pas venues à s’identifier avec la nation ; elles n’ont qu’un médiocre rôle et une place restreinte. C’est le propre des pays où l’opinion, les intérêts, ne se sont point encore créé un cours régulier, où il n’y a pas d’attachemens fixes et persévérans, où il n’y a que des engouemens : un jour les assemblées provinciales, un autre jour le jury, maintenant Mouraviev, demain Komissarof, puis les Américains, puis l’insurrection crétoise, ou bien le congrès ethnographique et le panslavisme. Les esprits s’agitent vaguement et cherchent une issue à tout propos. Bientôt ce fut le voyage de l’empereur Alexandre II à Paris qui vint remuer cette opinion mobile et inquiète. Pourquoi ce voyage ? C’est là ce qu’on se demandait d’abord. Si on avait bien cherché, on aurait trouvé peut-être une cause bien simple, tout humaine, mais qui n’aurait pas suffi aux chercheurs de mystères : c’est que l’empereur, ennuyé de la monotonie de son rôle de tsar, voulait se distraire ; il avait le goût de Paris et de l’exposition. Autour de lui, les impressions étaient assez diverses et singulièrement complexes. Le parti ultra-russe était au premier moment très opposé à ce voyage, puis il finit par se dire que rien n’attestait mieux la prépondérance de la Russie. Le prince Gortchakof était peu favorable ; il craignait qu’au milieu des entrevues impériales, sous le voile des plaisirs et des fêtes, il ne survînt des occasions, des possibilités d’engagemens politiques dont il n’était pas partisan. Le comte Schouvalof n’était nullement contraire au désir du tsar.

Il restait toujours, il est vrai, cette terrible question de Pologne, s’élevant comme un nuage sombre entre la Russie et la France. On crut rendre tout facile par une amnistie, et c’était sans doute un bon mouvement de la part d’Alexandre II de penser qu’il ne pouvait mieux payer sa bienvenue en France que par un acte d’adoucissement ou d’équité. Par malheur, il en est des amnisties comme des progrès en Russie ; il y a toujours quelque condition qui annule tout. D’abord cette amnistie, elle ne s’appliquait ni aux exilés ni aux déportés en Sibérie ; elle ne pouvait profiter qu’aux internés par voie administrative, et encore pour ceux-ci y avait-il l’obligation d’un certificat de bonne conduite délivré par les autorités locales. C’était, à tout prendre, une amnistie plus apparente que réelle. Je n’insisterai pas sur les détails d’un voyage ainsi préparé et bientôt troublé par un incident douloureux. Quinze mois auparavant, Pétersbourg, un jeune Russe avait attenté à la vie du tsar ;