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qui paraît à la surface, ce qui retentit dans un oukase ou dans la presse n’est pas toujours ce qui est le plus réel. Il en est de tout un peu comme de cette institution du jury qui a été décrétée : elle existe, oui sans doute ; seulement l’empereur peut soustraire au jury tout ce qu’il ne veut pas laisser juger par lui, crimes contre les personnes ou les propriétés, même les vols. Consultez les lois civiles de la Russie, la peine de mort n’y est point inscrite ; seulement les cours martiales, à peu près en permanence et saisies à volonté, prononcent la peine de mort comme partout et même plus que partout, elles font ce que la justice civile ne peut faire. Rien ne laisse mieux voir ce qu’il y a de peu solide et de décevant dans le progrès russe que l’histoire des institutions territoriales ou assemblées locales. Au premier moment, ces institutions ont eu une certaine popularité ; on y voyait presque le germe du régime parlementaire. Que sont-elles devenues bientôt ? Elles ont cessé d’intéresser, elles ont flotté entre l’insignifiance et le danger d’être dissoutes pour cause d’intempérance séditieuse.

Aux premiers jours de 1867, l’assemblée de Saint-Pétersbour : g faisait un peu parler d’elle. Peu auparavant, le 3 décembre 1866, une loi, qui était sans doute une des dernières œuvres de M. Milutine, avait singulièrement restreint les prérogatives de ces modestes institutions en matière d’impôt. L’assemblée de Pétersbourg, réunie le 15 janvier 1867, prenait feu à ce sujet, discutait fort vivement la loi et demandait qu’elle fût revue par le conseil de l’empire de concert avec des délégués des assemblées électives. C’était presque demander la formation d’une assemblée générale de l’empire, ce cauchemar de l’absolutisme russe. À cette occasion, M. Kruse, un libéral quelque peu démocrate, prononçait un discours d’une vive et habile opposition, et les harangues se succédaient passablement confuses, amusant le public sans le passionner, lorsqu’un jour le gouverneur de Saint-Pétersbourg, le comte Lévachof, arrivait botté et éperonné en pleine séance avec un décret de dissolution qu’il lut de sa voix la plus militaire. Le président de l’assemblée, le comte Orlof-Davidof, s’émut extrêmement, et les députés ne s’émurent pas moins ; puis on se dispersa devant ce petit 18 brumaire accompli par un gouverneur qui n’avait pas même attendu la réponse à son message. C’était comme un dernier et pâle éclair de vie parlementaire. Les assemblées provinciales reprendront sans doute quelque jour vie et intérêt ; pour le moment, elles sont passées de mode. Au fond, c’est l’autocratie qui règne et gouverne, et elle gouverne avec l’appui de cet esprit ultra-russe qui est devenu pour elle une force de plus, en attendant de devenir sa faiblesse.

Au moment où elle s’accomplissait, cette dissolution de l’assemblée de Pétersbourg n’était pas même un embarras. Le public avait