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qui avait pour chef un lieutenant de l’empereur. Ce nom de royaume avait une valeur dont la diplomatie, à bout de ressources, se payait souvent. Cette valeur a cessé d’exister. Le nom disparaît aujourd’hui ; depuis deux ans, c’est la chose elle-même qui disparaît obscurément, jour par jour, sous l’action opiniâtre, envahissante, de la russification.

Dès la fin de 1866 commençait une série d’actes s’attaquant aux derniers retranchemens, tendant, comme on le disait, à la « fusion complète du royaume de Pologne avec la Russie par la suppression des distinctions administratives qui séparaient les sujets russes de l’idiome polonais des sujets russes de la langue russe… » C’était ce qu’on appelait faire disparaître « un ordre onéreux et suranné. » Un jour, c’étaient les postes qui allaient se fondre dans l’administration générale de l’empire. Un autre jour, une réforme plus importante supprimait la commission des finances du royaume pour ne laisser à Varsovie qu’une section du trésor relevant désormais directement du ministère des finances de Pétersbourg. En même temps c’était un remaniement complet de l’organisation administrative du royaume par une distribution nouvelle du territoire. Au lieu de 39 districts, il y en avait 85 ; au lieu de 5 gouvernemens, on en créait 10 avec des noms nouveaux. On voulait à tout prix briser un vieux moule pour en refaire un nouveau. Après cela, le dernier mot était simple et logique ; il vient d’être dit aujourd’hui. Un récent oukase fait disparaître définitivement toute trace d’administration distincte. De royaume de Pologne, il n’en existe plus l’ombre, — administrativement, j’entends ; il n’y a plus que le pays de la Vistule. Tous les gouverneurs devront désormais correspondre directement avec le ministre de l’intérieur de Saint-Pétersbourg. Varsovie cesse d’être une capitale, pour n’être plus qu’un chef-lieu de province, comme Lublin ou Kalish. « Voilà, s’écrie un journal russe, un pas complètement rationnel, tout à fait juste et salutaire vers la réconciliation. Quand toute différence de régime aura disparu, il n’y aura plus de motif de discorde entre l’empire et une de ses parties… » Cela dit, il ne reste vraiment que l’esprit à vaincre ! Là commence la difficulté.

Et ce que la Russie fait en Pologne, elle le fait aussi dans les provinces baltiques, la Livonie, la Courlande, l’Estlande, dans ces pays à l’esprit grave, fidèle et nullement inquiétant. Elle le fait ici sans doute avec moins d’emportement et d’éclat, mais avec la même opiniâtreté, par la guerre déclarée à tout élément germanique, par la propagande de la foi orthodoxe, par l’introduction des idées et des pratiques russes dans les questions de propriété. Pour ne citer qu’un exemple, une mesure assez récente encore, s’appuyant sur une ordonnance de l’empereur Nicolas, a interdit l’usage de la langue