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démocratie enrégimentée sous une autocratie intelligente. C’est son système, je l’ai dit. Très dédaigneux de la noblesse, dont il restreint le rôle tant qu’il peut, faisant peu de cas des nihilistes, qu’il ne craint guère et qu’il n’hésiterait pas à réduire par la force, s’ils tentaient de recourir à l’action, il est l’homme d’un certain progrès administratif, social, économique par l’absolutisme. Il a eu depuis quelques années une influence véritable, — indirecte, si l’on veut, dans les affaires intérieures de l’empire, — directe et prépondérante dans les affaires de Pologne, par lui-même et par son lieutenant, le prince Tcherkaskoi, qui a joué à Varsovie, aux côtés du comte Berg, lieutenant de l’empereur, le personnage d’un jeune réformateur à tout prix auprès d’un général du temps de Nicolas, Allemand d’origine, accoutumé aux vieilles routines. L’élévation de M. Milutine au poste de ministre secrétaire d’état ne pouvait que grandir son importance. Il trouvait d’ailleurs, pour le soutenir dans le cabinet, son frère, le général Dimitri Milutine, ministre de la guerre, homme opiniâtre, laborieux, imbu des mêmes idées, ambitieux sous un extérieur modeste. Le nouveau ministre de l’instruction publique, le comte Dimitri Tolstoy, était sans doute encore une force de plus pour le parti ultra-russe. Sa spécialité à lui était l’orthodoxie venant en aide à la nationalité et à l’autocratie.

D’un autre côté restait M. Valouief, devenu peut-être par une illusion de l’opinion le représentant d’une autre politique ou tout au moins d’autres traditions administratives, et auprès ou au-dessus de M. Valouief c’était surtout le nouveau chef de la 3e section de la chancellerie impériale, le comte Schouvalof, qui prenait rapidement une réelle importance. Je ne voudrais pas faire passer le comte Shouvalof pour un libéral, M. Katkof l’accuserait de m’avoir envoyé des documens, de fomenter des intrigues en Europe, et il le poursuivrait autant qu’il a poursuivi M. Golovnine ; mais enfin c’est un homme de lumières, d’une certaine modération, ayant peu de goût pour les théories de démocratie autoritaire, accoutumé à respecter les règles administratives, cette dernière garantie des peuples qui n’en ont pas d’autre. Placé dans des conditions à exercer de l’influence, il l’exerçait dans un sens modéré ; il se liait avec M. Valouief, et ne déclinait pas à l’occasion le rôle d’antagoniste de M. Milutine et de ses partisans. Si la politique russe pouvait jamais se résumer dans deux noms, ces deux noms auraient été à ce moment de l’été 1866 ceux de M. Nicolas Milutine et du comte Schouvalof.

Au milieu de ces influences, le chancelier de l’empire, ministre des affaires étrangères, le prince Gortchakof, avait et a gardé toujours une place à part. Il lui est arrivé un jour, il y a cinq ans, d’assurer au sentiment russe une victoire éclatante en déclinant cavalièrement l’intervention de l’Europe dans les affaires de