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Le successeur de M. Golovnine était nouveau en effet, jeune encore, plein d’ambition, et son arrivée au pouvoir couronnait une rapide carrière. Il n’y avait pas trop longtemps qu’il n’était encore qu’un petit tchinovnik. Son mariage avec une fille du fameux Bibikof, l’ancien gouverneur de Kiev, n’avait pas peu servi à sa fortune. Il avait passé par le ministère de la marine sous le grand-duc Constantin, et avait été des amis du prince ; puis il s’était séparé de cette pléiade, avait eu une charge à la cour, et était devenu procureur du saint-synode. Le comte Dimitri Tolstoy s’était signalé par un livre sur le catholicisme en Russie empreint d’un fanatisme orthodoxe prononcé, homme laborieux d’ailleurs, ne manquant pas de connaissances, bien vu de l’impératrice pour ses opinions religieuses, intelligent, si ce n’est qu’on l’appelait un jésuite orthodoxe. En devenant ministre de l’instruction publique, le comte Dimitri Tolstoy ne cessait pas d’être procureur du saint-synode. C’était, pour ainsi dire, le signe visible du double caractère de la mission qui lui était confiée en ce moment, et cette mission, il la remplissait avec un zèle de néophyte qui allait quelquefois jusqu’à parler avec peu de retenue de son prédécesseur, témoin le jour où, devant les professeurs du gymnase de Saratov, il disait : « Il est fâcheux qu’il se soit trouvé parmi vous des gens qui n’auraient jamais dû se livrer à l’enseignement. Ils ont accepté un important devoir non au profit, mais au détriment de la jeunesse et afin de propager des idées subversives qui ont eu pour conséquence la dépravation morale et intellectuelle de quelques jeunes gens victimes de cette déplorable propagande. Sous mon administration, de semblables professeurs ne peuvent plus se rencontrer, car mes devoirs envers l’empereur et ma conscience ne me permettent pas de tolérer qu’une école entretenue par l’état se transforme en un repaire de doctrines anti-sociales et anti-gouvernementales… » Tel était le nouveau ministre de l’instruction publique dont l’avènement passait pour une revanche de la vraie politique russe, pour une victoire de l’esprit national et orthodoxe sur les tièdes conseils d’un homme qui n’avait pourtant pas péché par un excès de libéralisme.

Les changemens semblaient d’abord ne pas devoir s’arrêter là. Il y avait un autre membre du gouvernement qui paraissait au moins aussi menacé que M. Golovnine : c’était le ministre de l’intérieur, M. Valouief, qu’on s’attendait à voir disparaître, lui aussi, dans la bourrasque du lendemain de l’attentat, et on désignait même M. Milutine pour le remplacer ; mais le jour de la défaite de M. Valouief n’était pas encore venu. Le ministre de l’intérieur était un homme de ressource, et l’esprit de l’empereur Alexandre II n’est pas de ceux qui vont d’un seul coup au bout d’une politique. Au lieu de disparaître, M. Valouief se raffermissait promptement au