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vous jugeront. — A présent, parlons des moyens de faire connaître en Allemagne cette belle imitation de leur premier poète. Les imprimeries d’ici sont trop chères et trop françaises pour rien d’un peu allemand : à vingt lieues d’ici, on trouverait mieux ; mais là ce ne peut être moi et encore moins Pictet, qui n’a point de goût pour la littérature. Je pensais que, si vous aviez l’idée de faire un voyage, vous viendriez ici, — premier plan de bonheur, — et que nous songerions ensuite à vous envoyer à l’une des petites universités où votre talent pour traduire l’allemand trouverait à se placer. Dans la solitude où nous vivons, vous ne pourriez être connu de personne, mais vous ne seriez pas fâché de passer ainsi quelques jours, et le tout ne vous éloignerait pas plus d’un mois de vos amis. Réfléchissez à mon projet, et n’allez pas le croire mauvais parce que j’y trouverais du bonheur. — Adieu. Dites-vous bien que vous pouvez disposer de moi comme de votre sœur. Je voudrais avoir droit à ce titre par quelque ressemblance avec vous. — Répondez-moi le plus tôt possible comme vous m’avez écrit. »


C’est dans l’automne de cette année 1803 que Mme de Staël vint à Paris ou aux environs, et qu’elle se flatta d’échapper à l’attention du premier consul, tout occupé qu’il était du projet de descente en Angleterre. Elle n’y réussit pas et fut priée de quitter la capitale et son rayon. Elle a raconté toutes ces tracasseries, et comment, après avoir éludé et tardé le plus longtemps possible, elle se décida, en quittant Paris, à partir pour l’Allemagne. Une petite lettre de Mme Récamier à Mme de Staël, et qui se trouve je ne sais comment mêlée aux papiers de Camille, se rapporte juste à ce moment et a trait à une démarche qui fut faite par Junot auprès du premier consul :


« Au moment où je recevais le billet qui m’annonce votre départ, on m’en a remis un de Junot qui m’écrit : « J’ai vu ce matin le consul ; il m’a dit qu’il consentait à ce qu’elle ne quittât pas la France ; il veut bien qu’elle réside même à Dijon, si cela lui est agréable ; il m’a même dit tout bas que s’il n’y a rien de nouveau par la suite… — J’espère que sa sagesse et nos vives sollicitations feront achever la phrase. » — Vous savez sans doute tout cela. Pour moi, j’ai bien besoin d’espérer de vous revoir bientôt pour me consoler un peu de votre absence. Je vous prie en grâce de me faire savoir vos projets. Je n’oublierai pas l’affaire de M… — Adieu. Il est bien difficile de s’accoutumer à ne plus vous voir, quand on a eu le bonheur de passer quelques jours près de vous. J’attends de vos nouvelles avec une inquiète impatience.

« JULIETTE R.

« Dimanche soir. »