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donner une meilleure opinion de nous et de nos idées, ils n’auraient déjà été inutiles ni à leur pays ni à l’Angleterre.

Il est néanmoins très permis de regretter avec M. Smiles que la France n’ait pas fait sa révolution religieuse au XVIe siècle. La pratique du droit d’examen nous aurait peut-être mieux préparés à l’usage de la liberté politique. Quand on regarde à l’état général de l’ancien et du nouveau continent, il y a lieu, je l’avoue, d’être frappé d’un triste rapprochement qui fait naître plus d’une réflexion. Le groupe des nations protestantes a partout atteint de bonne heure, et en vertu d’une sorte d’affinité naturelle, les formes du gouvernement représentatif. La Suisse, la Hollande, la Prusse, l’Angleterre, les États-Unis d’Amérique, jouissent d’une constitution qui, à différens degrés il est vrai, admet l’intervention du pays dans la conduite des affaires. En a-t-il été de même des nations catholiques ? Pour méconnaître sous ce rapport leur infériorité, il faudrait ignorer l’histoire ou dénaturer les faits. La France s’est bien élancée à plusieurs reprises vers un idéal de liberté, et elle l’a fait avec un frémissement d’enthousiasme qui a entraîné la moitié de l’Europe après elle ; mais à la suite de gigantesques efforts que de sombres retours vers le passé, quel amer découragement ! Profitant de nos expériences et de nos fautes, la Belgique semble avoir été plus heureuse ; il ne faut pourtant point oublier que le fondateur de la monarchie constitutionnelle dans ce petit état a été un roi protestant, et que là comme ailleurs un parti, se couvrant lui-même du nom de catholique, lutte opiniâtrement contre les libéraux, qui professent au contraire une certaine indifférence en matière de religion. Plus les croyances sont absolues, et plus elles tendent à maintenir ou à ramener l’absolutisme dans l’ordre temporel. Parlerai-je de l’Espagne, où sans la liberté des cultes les idées de la révolution française n’ont guère réussi qu’à soulever contre les anciens dogmes un combat d’ombres dans un sépulcre ? L’Italie est entrée trop récemment dans la voie des essais constitutionnels pour qu’on puisse se prononcer sur le sort que lui réserve l’avenir ; mais tout le monde sait où elle rencontre maintenant l’obstacle à son unité. Certes un tel contraste est douloureux : donnerons-nous pour cela aux pays catholiques le conseil de se faire protestans ? Ce serait y songer trop tard, et il n’y a plus aujourd’hui assez de foi dans les âmes pour un changement de culte. Tout ce qu’ils peuvent faire est de séparer chez eux l’ordre politique de l’ordre religieux, l’église de l’état, et de placer résolument les devoirs du citoyen au-dessus des croyances. Pour que les nations se montrent dignes de la liberté, il faut qu’elles s’appartiennent devant Dieu.


ALPHONSE ESQUIROS.