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imaginations féminines, était issue de parens wallons établis à Hatfield-Chase, tandis que l’aimable humoriste Sydney Smyth attribuait sa gaîté au mariage de son grand-père avec une Française, Maria Olier, la fille d’un réfugié protestant. Parmi les écrivains modernes, le docteur Pusey[1], les Martineau[2], le capitaine Marryatt, célèbre par ses romans maritimes, et bien d’autres proviennent également d’une souche gauloise. L’un des plus grands penseurs de l’Angleterre, M. Grote, l’historien de la Grèce et des idées de Platon, à propos duquel M. Charles de Rémusat publiait naguère dans la Revue une étude si remarquable, a, pour ainsi dire, du sang croisé d’exilés dans les veines. Par le côté paternel, il remonte jusqu’aux De Grotes ou Groots, dont Hugo Grotius était un des membres, et qui abandonnèrent la ville d’Anvers durant les persécutions de l’Espagne ; par sa mère, il descend du colonel Blosset, fils d’une ancienne famille protestante de la Touraine, et qui s’éloigna de France après la révocation de l’édit de Nantes. N’est-ce point cette alliance de races qui lui permet d’unir l’érudition des Allemands à la hardiesse de l’intelligence et du caractère par laquelle se sont signalés chez nous les encyclopédistes ?

Les traces de l’émigration française sont peut-être encore plus solidement empreintes dans la série des hommes d’état et des pairs du royaume-uni que dans la littérature. Les Des Beuveries se trouvent aujourd’hui représentés à la chambre des lords par le comte de Radnor. Les de La Tranche, une famille du Poitou, revivent dans l’archevêque protestant de Dublin, le très révérend Chenevix Trench, auteur de Study of words (l’étude des mots), un des meilleurs ouvrages qui aient été écrits sur la langue anglaise. Lord Northwick descend de Jean Rushout, un réfugié français qui vint chercher fortune à Londres sous le règne de Charles Ier ; lord de Blaquiere est issu de Jean de Blaquière, un huguenot établi marchand en Angleterre après la révocation de l’édit de Nantes ; le baron Taunton doit son origine à Pierre-César Labouchère, qui, exilé d’abord en Hollande, passa plus tard la mer comme représentant d’une maison de commerce d’Amsterdam. Beaucoup d’autres membres de la pairie et de la noblesse anglaise se rattachent par la naissance et par le nom[3] à d’anciennes familles françaises que les persécutions religieuses avaient chassées de leur pays. On retrouve également les vestiges de l’émigration dans les annales parlementaires. Dès 1695, Philippe Papillon, d’Avranches, fut envoyé

  1. Un de ses ancêtres était Laurence Des Bouveries, qui s’enfuit de Lille en 1568. Ce n’est qu’en 1798 que le père du professeur d’Oxford prit le nom de Pusey.
  2. Issus de Gaston Martineau, un chirurgien de Dieppe qui s’établit à Norwich en 1685.
  3. Par exemple le baron de Romilly.