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ils n’étaient pas interrompus durant la semaine par les chômages religieux et ces fêtes de saints dont, s’il faut en croire le paysan de La Fontaine, monsieur le curé chargeoit toujours son prône. Leur caractère avait d’un autre côté été fortifié dans la lutte, et leur raison affermie parle besoin de s’en servir contre de puissans adversaires. On a dit : Tant vaut l’homme, tant vaut la terre ; ne pourrait-on dire avec la même justesse : Tant vaut l’homme, tant vaut le métier ? Ces huguenots étaient les fils de leurs œuvres ; n’ayant ni protection à attendre de l’état, ni secours à espérer de l’église, ils demandaient à eux-mêmes et à leur profession les moyens de se maintenir dans une société dont ils excitaient la défiance. N’y avait-il point d’ailleurs dans leurs doctrines un principe d’activité qui manquait alors aux catholiques ? L’église a beau avoir condamné Fénelon, le quiétisme était bien, depuis des siècles, la tradition des couvens et des docteurs en théologie. Pour que l’homme fût à même de réagir contre la nature, d’en surprendre les lois et de les asservir à ses besoins, il fallait d’abord qu’il s’affirmât comme être libre et pensant. Le protestantisme, quoique lié à un ordre surnaturel, respecte du moins le sentiment du moi, les droits de la conscience et les motifs qui la déterminent à agir. Il invite bien plus ses disciples à l’usage personnel de leurs facultés qu’à la contemplation et à l’absorption en Dieu. Le bon protestant ne doit point enfouir dans le renoncement de lui-même et l’obéissance passive le talent qu’il a reçu : il lui faut au contraire le faire valoir par tous les moyens que ne désavoue point la morale chrétienne. Quoi qu’il en soit des causes, l’effet était certain, et les ennemis des huguenots rendirent plus d’une fois hommage à leurs qualités pratiques. « Si les marchands de Nîmes, écrivait Baville, intendant de la Provence, sont très mauvais catholiques, ce sont du moins de très bons et de très honnêtes négocians. »

Tel était l’état des choses lorsque les dragonnades, les pieuses vengeances, les exécutions militaires qui précédèrent et suivirent la révocation de l’édit de Nantes, jetèrent de nouveau l’effroi et la consternation parmi les protestans français. L’acte qui leur arracha la dernière espérance, proscrivit leur culte, fit raser leurs temples, bannit du royaume leurs pasteurs, confisqua au profit de la religion de l’état l’âme de leurs enfans, fut signé en 1685 par la main de Louis XIV. Bossuet et Massillon applaudirent, des Te Deum furent chantés dans toutes les églises, et le pape envoya un bref au roi pour le féliciter de la victoire remportée sur les hérétiques. Quant aux huguenots, il ne leur restait à choisir qu’entre deux partis extrêmes, la dissimulation ou l’exil. La plupart d’entre eux n’hésitèrent point un instant : ils cherchèrent non-seulement leur salut, mais aussi leur dignité dans la fuite. Passer la frontière était