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les souvenirs d’un ancien exil s’effacent parmi les tombeaux, résister à un mouvement de sympathie pour ces hommes qui avaient sacrifié les joies de la patrie à l’austère sentiment du devoir ?

Ne serait-il point curieux de connaître leur façon de vivre au milieu d’un peuple parlant une autre langue et se distinguant par d’autres mœurs ? Malheureusement on possède sur ce point très peu de détails. Durant les premières années, les fugitifs s’arrêtaient volontiers dans les villes anglaises du littoral, comme s’ils ne pouvaient se décider à détourner leur visage de la France. Était-ce l’espoir de revenir un jour ou l’autre dans leur pays qui les retenait sur les bords du détroit ? Il y a tout lieu de le croire, car, à mesure que se prolongeait l’exil, les groupes s’avançaient ou se dispersaient peu à peu dans l’intérieur de la Grande-Bretagne. Un document assez précieux montre combien ces anciens réfugiés s’intéressaient encore aux affaires du continent et surtout à celles de leur pays. Sous le nom de maison de Dieu, domus Dei, des Flamands et des Français avaient fondé à Southampton une petite église dont les annales se retrouvent consignées sur le registre de la congrégation de 1567 à 1797. Leur coutume était de pratiquer des jeûnes à-propos des événemens qui désolaient alors la chrétienté. Le premier de ces jeûnes se rapporte aux persécutions du duc d’Albe dans la Néerlande. Le 3 septembre 1568, des prières sont ordonnées pour obtenir la protection de Dieu en faveur « de Mgr le prince d’Orange, qui est descendu d’Allemagne dans les Pays-Bas pour délivrer les pauvres églises et les relever de leur affliction. » Fn 1570, on célèbre par un autre jeûne (c’étaient les fêtes de l’exil) la défaite du prince de Condé à la bataille de Jarnac. Deux ans aprèss les fronts se couvrent de cendre à la nouvelle des massacres de la Saint-Barthélémy. Le 29 décembre 1588, on rend grâces à Dieu « pour la merveilleuse disparition de la flotte espagnole au moment où elle faisait voile vers les côtes de l’Angleterre avec l’intention de conquérir le royaume et d’y rétablir la tyrannie du pape. » L’asile des proscrits était sauvé. Plus tard d’autres actions de grâces furent offertes au ciel par la maison de Dieu aux sujet des victoires de Henri de Navarre. Le Béarnais avait pour lui les cœurs de tous les pauvres émigrés français, qui, comme ils le disent eux-mêmes, « n’avaient oublié ni leur pays ni la cause pour laquelle ils étaient passés en Angleterre. »

Les colonies protestantes se tendaient les unes aux autres une main fraternelle. C’est ainsi que les Flamands établis à Sandwich, quoique eux-mêmes fort dénués, envoyaient un secours d’argent « aux malheureux Français qui avaient quitté leur pays par raison de conscience. » Du reste les réfugiés ne demandaient qu’à leur travail les-moyens de vivre ; ils payaient exactement le loyer de