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arcanes en Angleterre, c’était Moïse livrant aux Israélites les mystères du temple égyptien. À qui la faute, s’ils furent forcés d’agir ainsi ? Un gouvernement ennemi de ses propres intérêts ne leur avait laissé le choix qu’entre l’exil, l’abjuration ou la mort.

L’un des premiers groupes de réfugiés français s’établit dans la vieille cité de Canterbury. Plusieurs d’entre eux furent étonnés de trouver dans la cathédrale des chanoines en surplis, des enfans de chœur, des cérémonies qui leur rappelaient beaucoup trop les pompes de l’église romaine. Ce protestantisme n’était point le leur ; disciple de Calvin, ils comprenaient la liturgie sous des formes plus sévères. L’église établie eut d’ailleurs le bon esprit de ne point leur imposer ses rites. L’archevêque de Canterbury, Mathieu Parker, leur accorda le libre usage de la crypte qui s’étend sous le chœur et le maître-autel de la cathédrale. Là ils pratiquèrent leur culte et instruisirent leurs enfans, là aussi ils installèrent leurs métiers à tisser la soie : c’était à la fois pour eux une chapelle, une école et un atelier. Sur les chapiteaux des piliers massifs auxquels s’appuie une voûte nue et surbaissée, on lit encore aujourd’hui des textes de la Bible en vieux français, écrits à la main pour l’enseignement de la jeunesse. Dans ces catacombes, ils vivaient avec les morts, car les cendres des anciens archevêques reposent sous les dalles dont les pas des exilés ont usé les armoiries et les inscriptions. Durant le jour, le bruit des navettes courant sur les métiers égayait seul le lugubre silence de ces lieux éclairés par une lumière sépulcrale. C’était un bien triste asile, et pourtant ces ouvriers prospérèrent. La colonie ne se composait guère à l’origine que de dix-huit familles ; mais, comme l’émigration continuait toujours et que les soieries fabriquées par la main des premiers tisserands avaient réussi sur le marché de Londres, les étrangers établis furent bientôt comptés dans la ville de Canterbury par centaines. La chapelle où ils se réunissaient pour prier existe encore sous le nom de Frenxh Church ; elle est séparée du reste de la crypte par une cloison et un vitrage. Des bancs, une chaire et une table de communion suffisent à la simplicité de ce culte, qui a conservé les manières et le rite de Genève. Le service se fait en français et les psaumes s’y chantent sur de vieux airs huguenots. La congrégation se trouve maintenant réduite à une vingtaine de personnes, parmi lesquelles deux anciens et quatre diacres. Ce n’est point sans une vive émotion que je visitai, il y a quelques années, cette église cachée sous une autre église. Si je ne partageais point la foi religieuse de mes compatriotes du XVIe siècle, j’étais du moins étranger comme eux en Angleterre, et j’honorais la sincérité de leurs convictions. Comment d’ailleurs, sous ces sombres voûtes où tout parle de la France et où