mencent, la situation du jeune prince est changée. Nous l’avons laissé héritier de l’empire et s’y préparant par les études les plus sérieuses, nous le retrouvons empereur ; mais ses sentimens sont restés les mêmes, et il les exprime de la même façon. Il ne se croit pas obligé d’être plus solennel et de laisser voir au ton de ses paroles qu’il sait bien qu’il est le maître. On dirait au contraire qu’il tient à se montrer à ses amis plus simple encore et plus familier pour leur faire oublier sa haute fortune. Plus la situation qu’il occupe nuit à l’égalité dans ses rapports avec eux, plus il cherche à la rétablir par sa bienveillance. Son affection pour son maître semble être devenue plus vive ; il lui écrit comme autrefois à l’anniversaire de sa naissance, mais jamais peut-être ne lui avait-il écrit d’une manière plus cordiale. « Bon an, bonne santé, bonne chance, voilà ce que je demande aux dieux pour vous aujourd’hui. Je suis sûr qu’ils m’exauceront, car celui que je recommande à leur bonté est un honnête homme qui en est digne et qu’ils protègent d’eux-mêmes, sans qu’on ait besoin de les en prier. Si en ce jour de fête vous repassez dans votre esprit toutes les joies de votre vie, n’oubliez pas de compter ceux qui vous aiment, et parmi eux mettez au premier rang celui qui vous écrit. Adieu, mon cher maître, conservez longtemps votre santé. Tous les habitans de notre petit nid, selon le degré de leur raison, font des vœux pour vous ; quantum quisque in nidulo nostro jam sapit, tantum pro te precatur ». On voit bien que l’empire ne l’avait pas changé. Quand on lit ces paroles si affectueuses et si simples, il faut faire un effort pour se rappeler que ce petit nid, c’est la famille du maître du monde.
Le ton de cette lettre et surtout les réponses de Fronton montrent que les petits dissentimens qui s’étaient élevés entre eux devaient alors s’être apaisés. Marc-Aurèle était-il revenu tout à fait à la rhétorique en montant sur le trône, comme le prétend Fronton ? Nous ne pouvons pas le croire, nous qui possédons ses confidences secrètes. Dans ses Pensées, qu’il écrivit vers la fin de sa vie, il remercie les dieux « de n’avoir pas fait plus de progrès dans l’art de parler, car, s’il y avait mieux réussi, il s’y serait plus adonné », et l’une des recommandations qu’il s’adresse à lui-même est celle-ci : « N’orne pas tes paroles ». Il avait donc rompu sérieusement et sans retour avec la rhétorique le jour où Rusticus lui en avait montré la vanité ; mais, comme on croit facilement ce qu’on désire avec passion, Fronton se laissa persuader vite que les sentimens de son élève étaient changés. Il est probable que Marc-Aurèle respectait et entretenait cette illusion, qui rendait son maître heureux. « Envoyez-moi quelque chose à lire, lui écrivait-il ; choisissez ce que vous jugerez de plus éloquent, de vous, de Caton, de Cicéron, de Salluste ou de quelque poète. J’ai besoin de me reposer. Il faut que la lecture me