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Ce livre, dont la destinée a été si grande, et qui a eu l’honneur d’émouvoir tant de nobles âmes, entre autres celles de Marc-Aurèle et de Pascal, ne contenait pas, à vrai dire, des enseignemens nouveaux. C’était toujours la pensée stoïcienne, qu’il faut ne placer son bonheur que dans les choses qui dépendent de nous et regarder comme indifférentes celles qui ne sont pas en notre pouvoir. On avait dit cent fois avant Épictète qu’il n’y a rien d’important dans la vie que de cultiver son esprit et de fortifier sa volonté, que la fortune, la santé, le pouvoir, la réputation, ne sont pas des biens véritables, qu’il faut en détacher son âme, si l’on veut échapper au despotisme des hommes et du sort ; mais jamais peut-être on ne l’avait dit avec tant d’émotion, d’un ton si sincère et si pénétré, la situation même de celui qui donnait ces grandes leçons les rendait plus profitables. L’enseignement est souvent plus utile quand il tombe de plus haut, ici il gagnait à venir de bas. On savait au moins qu’on n’avait pas affaire à un de ces philosophes qui du fond de leurs palais célèbrent les charmes de la pauvreté et qui se lèvent d’une table bien garnie pour aller écrire l’éloge de l’abstinence. Celui-là était vraiment un pauvre et un misérable, et cette fière résistance à toutes les rigueurs de la vie avait plus de poids dans la bouche de quelqu’un qui les avait supportées. Cet homme qui disait si hardiment qu’on n’est l’esclave de personne quand on est le maître de soi, c’était un pauvre esclave qui avait fait sur lui-même l’essai de ses principes. On pouvait le croire sur parole quand il prétendait que l’âme peut s’arracher par sa force intérieure à toutes les humiliations que le sort lui inflige, car il les avait connues et bravées. En même temps que son stoïcisme touchait davantage par ce qu’on savait de sa situation et de sa vie, il avait pris aussi une couleur plus religieuse, et par là il convenait mieux aux gens à qui il s’adressait. Cette union avec Dieu que recommandaient Sénèque et Zenon pour dire qu’il fallait accepter ses décrets et ne pas se révolter contre ses sévérités était devenue chez lui plus intime et plus tendre. Ce Dieu n’est plus seulement dans ses ouvrages la raison des choses, une conception abstraite de l’ordre et de l’harmonie du monde : c’est une providence vivante ; « il dit aux plantes de fleurir, et elles fleurissent, de germer, et elles germent, de mûrir, et elles mûrissent » ; c’est un être personnel et bienfaisant qui veille tendrement sur l’homme et ne l’abandonne jamais. « Quand vous avez fermé vos portes et fait l’obscurité dans votre chambre, ne vous avisez pas de dire que vous êtes seul, car vous a êtes pas seul, puisque Dieu est avec vous ». Notre premier devoir