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voulons que la France l’entende, ces motifs qui ont pu suffire à quelques-uns, qu’ils ont longuement commentés, dont ils ont avec adulation exagéré la force, ne nous auraient jamais décidés seuls à une concession de cette étendue ; nous nous fussions défiés même de ce sentiment de la reconnaissance, comme trop sujet à égarer les peuples, même de cette importance de la stabilité, comme devant être cherchée plus dans les lois que dans les hommes, si à ces considérations ne s’en était jointe une autre qui a dû fixer nos suffrages : c’est la ferme confiance que bientôt Bonaparte, appréciant les nouvelles circonstances qui l’entourent, n’écoutant que l’inspiration de son âme et la voix des bons citoyens, posera lui-même à l’autorité dont il est investi une limite heureuse, qu’il ne profitera de cette prolongation de sa magistrature que pour achever, réaliser des institutions qu’il n’est pas temps de détailler encore, mais dont le but sera de former dans le sein de ce peuple un pouvoir véritablement national, qui seconde le sien, qui le tempère, qui le supplée au besoin, qui en assure la transmission légitime.

« Voilà ce qui fut, avec notre intention expresse, l’intention moins développée, mais réelle, de la majorité du peuple, ce qui forme de ce vote un contrat tacite entre la nation et son chef, ce qui seul, aux yeux d’une raison sévère, peut justifier le don que nous lui fîmes… »


L’écrit de Camille Jordan est donc l’œuvre d’une haute raison restée libérale. L’homme politique était alors tout à fait mûr et formé en lui. Les développemens sont abondans, solides, animés d’un mouvement et d’un nombre qui, dans la bouche de l’orateur et sortant de ses lèvres, seraient de l’éloquence. L’expression, toujours saine, élevée et digne, manque un peu d’éclat.

Et en général, même quand il s’agit des meilleurs écrits de Camille Jordan, parlons moins de son style que de son langage soutenu, toujours noble, de sa parole même : elle a l’ampleur, l’abondance, le flumen ; elle se présente par de larges surfaces et se déroule d’un plein courant, comme il sied à ce qui tombe et s’épanche du haut d’une tribune : elle n’offre pas la nouveauté, l’imprévu, l’éclat, la finesse, qu’on aime à distinguer chez un écrivain proprement dit, les expressions créées, les alliances heureuses, la fleur du détail et ce qui accidente à chaque pas la route. Il n’y a pas de ces paroles de feu qui restent, de ces flèches aiguës qui traversent les âges et atteignent au cœur de la postérité. En un mot, il y a du talent, un beau talent : il n’y a pas miracle de talent. Chateaubriand eut de tels miracles au milieu de bien des hasards. Royer-Collard en eut aussi sous sa forme sentencieuse et sévère.

Quoi qu’il en soit de ces réserves purement littéraires, par son moment, par ses prévisions et ses vœux si nettement exposés, par