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qui contenait les actes du concile de Chalcédoine, s’aperçut que sous l’écriture qu’il déchiffrait il y en avait une autre. Au moyen âge, quand le parchemin devint rare, on imagina une manière très simple de s’en procurer : on lavait les vieux manuscrits afin d’y pouvoir encore écrire, et l’on faisait ainsi sans façon des livres nouveaux avec les livres anciens. Ce procédé fâcheux nous a conservé beaucoup de sermons ennuyeux et des traités de théologie illisibles, mais il nous a fait perdre des chefs-d’œuvre. Heureusement le manuscrit sur lequel Maï était tombé avait été imparfaitement lavé, et avec beaucoup de patience et de travail il parvint à lire l’ancienne écriture. C’est ainsi qu’il donna au monde savant la correspondance de Marc-Aurèle et de Fronton, qui était perdue depuis huit siècles.

Le monde savant, il faut le dire, n’accueillit pas très bien cette publication ; elle parut lui causer beaucoup plus de déception que de plaisir. Il était arrivé par malheur que, sur le nom des deux correspondans, on avait trop espéré. On se faisait d’avance une trop belle idée de ces lettres d’un grand empereur à un orateur illustre ; l’attente était si vive qu’elle ne pouvait pas être entièrement satisfaite. Les lecteurs, qui comptaient sur la perfection, s’indignèrent de trouver beaucoup de petitesses chez un rhéteur et quelques puérilités chez un jeune homme, et la curiosité publique, qui n’aime pas à être trompée, se vengea de ce mécompte par le dédain et la raillerie. À la distance où nous sommes aujourd’hui de cette première déception, il nous est facile d’être plus justes. En même temps que nous nous sentons plus disposés à juger ces lettres avec impartialité, tout contribue à nous en rendre l’étude plus facile. La critique allemande a beaucoup fait depuis cinquante ans pour éclaircir ce texte mutilé. D’éminens philologues, Niebuhr, Buttmann, Heindorf, Haupt, ont corrigé les expressions vicieuses, complété les phrases inachevées et rendu partout l’obscurité moins épaisse. Récemment encore, M. Du Rieu a revu avec soin les manuscrits que personne n’avait consultés depuis Maï, et ses notes ont permis à M. Naber de publier une édition plus correcte, plus exacte et mieux ordonnée. Servons-nous de tous ces secours pour pénétrer dans cette correspondance difficile, où nous risquerions sans eux de nous égarer. Quoi qu’on dise, elle mérite d’être étudiée de près. Comme Fronton était l’un des maîtres de Marc-Aurèle, et qu’il l’entretient volontiers de ses études, elle a pour nous cet intérêt de nous apprendre comment ce prince fut élevé ; elle contient surtout beaucoup de renseignemens sur cette crise qui le fit passer de la rhétorique à la philosophie. Ce fut l’événement le plus grave de sa jeunesse, c’est celui qu’il importe le plus de connaître parce qu’il décida de sa vie ; mais avant d’entrer dans le détail de cette éducation et dans le récit