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tresses entrelacées de rubans rouges. Ses souliers rouges de la veille se voyaient à ses petits pieds, qu’elle tenait croisés l’un sur l’autre ; mais les pieds étaient nus. On eût dit qu’elle avait mis des bas de soie brune. Le sofa était placé autrement que la veille, plus près du mur, et sur la table un plateau du Japon portait une cafetière au large ventre, un sucrier en cristal taillé, et deux toutes petites tassés en porcelaine bleue. Sur la même table était posée la guitare, et une fumée grisâtre s’élevait en fine spirale de la pointe d’une pastille de l’Orient.

Le lieutenant, qui avait embrassé tous ces objets du premier regard, s’approcha du divan ; mais, avant qu’il eût eu le temps de prononcer une parole, Colibri avança la main sans cesser de rire dans son mouchoir, et, enfonçant ses petits doigts durs dans les cheveux du lieutenant, détruisit d’un tour de poignet tout le bel édifice de sa coiffure. — Qu’est-ce que cela ? s’écria le lieutenant, fort peu satisfait d’une familiarité si déplacée ; voyez-vous l’effrontée ! — Colibri découvrit son visage : — Auparavant, mal, dit-elle ; comme cela, mieux. — Elle se recula vers un bout du sofa, et replia ses jambes sous elle : — Asseyez-vous là, là-bas. — Le lieutenant s’assit à la place qu’elle lui désignait. — Pourquoi donc m’éloignes-tu ? demanda-t-il après un court silence ; as-tu peur de moi ?

Colibri se pelotonna comme un chat, et le regarda de côté. — Moi ? non.

— Tu ne dois pas faire ainsi la sauvage, continua le lieutenant d’un ton paterne. Tu te souviens, n’est-ce pas, de ta promesse d’hier ?

Colibri serra ses deux genoux dans ses bras, posa la tête dessus, et regarda encore de côté :

— Je me souviens.

— Dans ce cas,… fit Yergounof, prêt à s’avancer.

— Pas. si vite, signore.

Colibri dégagea ses tresses de cheveux, dont elle avait enlacé ses genoux, et du bout de l’une d’elles lui cingla la main.

Le lieutenant resta tout penaud. — Quels yeux elle a, la mauvaise ! murmura-t-il involontairement. Mais alors… pourquoi m’as-tu fait venir ?

Colibri tendit le cou avec un mouvement d’oiseau et se mit aux écoutes.

— Emilie ? dit le lieutenant d’un air effaré ; quelque autre…

Colibri haussa les épaules.

— Mais tu entends quelque chose ? reprit Yergounof.

— Rien.

Elle retira avec un autre mouvement d’oiseau sa petite tête de