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Colibri se mit à rire encore, et fit lentement rouler ses yeux magnifiques.

— Oui, je suis une beauté, dit-elle avec une gravité étrange. Asseyez-vous… Moi, près de vous… Tenez, une fleur, belle fleur, qui sent bon.

Elle tira de sa ceinture une branche de lilas blanc, et regarda le lieutenant par-dessus les fleurs dont elle mordillait un pétale. — Tenez, voulez-vous des confitures de Constantinopoli ? cherbett ?

Colibri se leva rapidement, s’approcha d’une commode, l’ouvrit et en tira un petit pot doré enveloppé dans un morceau d’étoffe rouge parsemée de paillettes en acier, puis une cuillère en vermeil, une carafe en cristal à facettes remplie d’eau et un verre pareil. — Prenez du cherbett, signore, bien bon, et je chanterai. Voulez-vous ?

Elle saisit la guitare. — Vous chantez ? demanda le lieutenant en se mettant dans la bouche une cuillerée de ce cherbett, qui était excellent en effet.

Colibri saisit des deux mains son épaisse chevelure, la rejeta en arrière, pencha la tête de côté et pinça quelques accords en regardant avec attention le bout de ses doigts et le manche de sa guitare ; puis elle se mit à chanter d’une voix agréable et plus forte qu’on ne pouvait l’attendre d’un être si frêle, mais qui parut bizarre au lieutenant. — Comme elle miaule, la petite chatte ! se dit-il en lui-même.

Elle chantait une chanson mélancolique ; ce n’était ni du russe ni de l’allemand, c’était une langue absolument inconnue à Yergounof. D’après ce qu’il a rapporté, des sons gutturaux, étranges, se mêlaient fréquemment à son chant, et pour terminer elle prononça lentement le mot sinzimar, sintamar, ou quelque chose d’approchant. Ensuite elle appuya sa tête sur sa main, poussa un soupir et posa la guitare sur ses genoux. — Eh bien ! demandât-elle, voulez-vous encore ?

— Avec plaisir, répondit le lieutenant ; mais pourquoi toujours le visage si triste ? Prenez un peu de cherbett.

— Non, mangez, vous. Cette fois ce sera plus gai.

Alors elle chanta une autre chansonnette à la façon d’un air de danse, mais dans la même langue incompréhensible et avec les mêmes sons de gorge. Ses doigts basanés couraient sur les cordes comme de vraies petites araignées, et elle finit en jetant un grand cri sur le mot hassa et en frappant à coups violens et répétés avec son petit poing sur la table. Ses yeux brillaient d’un éclat sauvage.

Le lieutenant était, comme nous disons, embrouillardé ; la tête