Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/663

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous êtes sa sœur ? Vous demeurez ici ?

— Oui.

Le lieutenant étendit de nouveau la main vers elle, et de nouveau elle recula.

— Comment se fait-il donc qu’elle ne m’ait jamais parlé de vous ? Vous cacheriez-vous ?

L’autre dit oui d’un signe de tête.

— Vraiment ! vous avez des raisons pour vous cacher ? Voilà donc pourquoi je ne vous ai jamais aperçue. J’avoue que je ne soupçonnais pas seulement votre existence… Quoi ! cette grosse vieille Mme Fritsche est votre tante ?

— Oui.

— Hum !… On dirait que vous ne comprenez pas très bien le russe. Comment vous appelle-t-on ?

— Colibri.

— Hein ?

— Colibri.

— Colibri ! voilà un nom extraordinaire. N’est-ce pas, il y a en Afrique des insectes qui se nomment ainsi ?

Colibri se mit à rire d’un rire court et bizarre, comme si des verres s’entre-choquaient dans son gosier. Elle secoua gravement la tête, jeta un rapide coup d’œil autour d’elle, et, posant la guitare, elle s’approcha de la porte en un saut et la ferma brusquement. Chacun de ses mouvemens était preste, agile, avec le frôlement sec d’un lézard. Ses cheveux lui tombaient par derrière plus bas que les jarrets. — Pourquoi fermez-vous la porte ? lui demanda le lieutenant. Colibri posa un doigt sur ses lèvres :

— Pour Emilie.

Le lieutenant eut un sourire de fatuité.

— Seriez-vous jalouse ?

— Quoi ? dit Colibri en levant la tête et prenant comme à chaque question qu’elle faisait une expression enfantine.

— Jalouse,… fâchée…

— Oh ! oui.

— C est beaucoup d’honneur que vous me faites. Écoutez : quel âge avez-vous ?

— Dix et sept.

— Dix-sept ans, vous voulez dire ?

— Oui.

Le lieutenant parcourut d’un nouveau regard plus scrutateur sa bizarre compagne.

— Mais vous êtes une vraie petite merveille de beauté. Quels cheveux ! quels yeux ! et ces sourcils ! oh !…