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— Ah ! oui, du thé t s’écria Emilie. N’est-ce pas, monsieur l’officier, que vous prendrez du thé ? Oui, petite tante, apportez-nous un samovar. Pourquoi restez-vous debout, monsieur, au lieu de vous asseoir ? Mon Dieu, que vous êtes cérémonieux ! Permettez-moi d’ôter mon châle.

Emilie, pendant qu’elle parlait, tournait la tête de côté et d’autre, et donnait de petites secousses à ses épaules. C’est ainsi que font les oiseaux quand ils sont perchés au faîte d’un arbre, et que le soleil les éclaire de tous côtés.

Le lieutenant prit une chaise, et, donnant à son maintien la gravité nécessaire, il ouvrit la conversation sur l’affaire du vol ; mais Emilie l’interrompit aussitôt. — Ne prenez pas cette peine, dit-elle, ce n’est plus rien ; ma tante vient de m’apprendre que les principaux objets sont retrouvés (ici Mme Fritsche murmura quelques mots dans sa barbe et quitta la chambre). Il n’était pas même besoin d’aller à la police ; mais je ne puis jamais me retenir. Je suis… vous ne comprenez pas l’allemand, je suis… si rapide. Regardez-moi, je n’y pense plus plus du tout.

Le lieutenant leva les yeux sur Emilie. Son visage en effet avait repris l’expression de l’insouciance. Tout souriait dans ce gentil visage, tout, les yeux entourés de longs cils cendrés, la bouche, les joues, le menton, jusqu’à la fossette du menton, jusqu’au bout du petit nez retroussé. Elle s’approcha d’un miroir ébréché, et, tout en chantonnant, tout en clignant les yeux, elle se mit à rattacher sa chevelure. Yergounof suivait avec attention chacun de ses mouvemens, car elle lui plaisait beaucoup.

— Vous m’excuserez, n’est-ce pas, se reprit-elle à dire en minaudant devant son miroir, de vous avoir ainsi amené chez moi ? Cela vous serait-il désagréable ?

— Que dites-vous là ?

— Je vous l’ai déjà dit : je suis si rapide ! J’agis d’abord, et puis je pense, et souvent même je ne pense pas du tout. Comment vous appelez-vous, monsieur l’officier ? Peut-on le savoir ? Ce disant, elle se plaça résolument devant lui en croisant sur sa poitrine ses bras rondelets.

— Je m’appelle Yergounof Kouzma Vasilief, dit le lieutenant.

— Yergou… Ah ! ce nom ne me va pas, il est trop difficile à prononcer. Je vais vous appeler Florestan. Nous avions à Riga un monsieur Florestan qui vendait de l’excellent gros de Naples, et qui était beau !… pas moins que vous ; mais quelle belle taille vous ayez !… celle d’un véritable héros russe. J’aime les Russes, je suis Russe moi-même. Oui, je suis Russe, car mon père était officier ; on voulait même lui donner une croix… Mais j’ai les mains plus