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dire sourdes et aveugles aux bienfaits de la liberté. Le droit électoral ne doit pas être jeté en pâture, comme, une satisfaction puérile, aux passions d’une foule ignorante et qui ne saurait même pas s’en servir : il faut la réserver à ceux qui sont capables d’en comprendre les avantages et d’en sentir la dignité. Pour tout dire en un mot, le signe auquel doit se reconnaître la capacité électorale dans un pays libre est la volonté ferme et persévérante de l’acquérir par les voies légales et sans recourir aux moyens violens des révolutions.

C’est une vérité vieille et banale que les révolutions ne fondent rien de durable, parce qu’elles dépassent presque toujours le but que leurs auteurs s’étaient proposé. La puissance de l’opinion, précipitée par ces grands ébranlemens, ne mesure plus les châtimens aux fautes commises, ni les réformes aux besoins véritables. Une révolution commencée contre le pouvoir absolu d’un ministre finit par la chute d’une dynastie royale ; une révolution dirigée d’abord contre la tyrannie des princes aboutit à la tyrannie, des démagogues ; une révolution qui débute au nom de la réforme électorale s’achève au nom du suffrage universel. C’est le secret de ces retours d’opinion qui anéantissent, presque aussitôt les conquêtes violentes de la liberté. Pas plus que le despotisme, la liberté n’échappe à la fatalité de son origine. Autant elle a été prompte à établir, autant elle est facile à renverser : quand elle triomphe par un coup de main, on peut prédire aux peuples qui l’ont appelée qu’elle ne tardera pas à succomber par un coup d’état. On peut être sûr que leur histoire va devenir pour plusieurs années une suite de hasards et de surprises, une désolante alternative entre une liberté déréglée qui les épouvante et un despotisme qui ne leur assure qu’une sécurité menteuse. Alors les peuples s’accoutument, à servir de jouet aux événemens. Ils perdent l’habitude des longs desseins et des grandes espérances pour ne plus songer qu’à la commodité de l’heure présente et à la satisfaction de leurs besoins matériels. Les institutions qu’ils se donnent, ou qu’ils se laissent donner par ceux qui s’emparent de leurs destinées, ne sont plus pour eux qu’un abri provisoire, une tente qu’ils dressent au bord du chemin pour s’y reposer une heure, et qui tombera par terre au premier coup de vent. Les révolutions dépravent trop souvent les nations qu’elles devaient régénérer. Elles les rendent semblables à ces aventuriers mercenaires qui ne reconnaissent plus le drapeau de leur pays, et qui n’ont plus d’autre patrie que le palais du maître qui les paie.

Les Anglais ont une autre manière de conquérir la liberté. Ils savent qu’elle n’est durable que lorsqu’elle a de solides fondemens dans l’histoire, et qu’elle ne reste fidèle qu’à ceux qui l’ont méritée par leur persévérance et leur sagesse. Ils tiennent d’ailleurs à leurs