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coulisses du théâtre, d’où ils préparent le spectacle et dirigent les acteurs, que de paraître eux-mêmes sur la scène. où ils ne seraient plus que les marionnettes des partis qui les auraient élus. Tel est le rôle de l’opinion publique dans tous les gouvernemens vraiment libres ; lors même qu’elle n’est pas une puissance officielle et qu’elle n’a pas le droit de porter la main sur les affaires du pays, il lui suffit de parler pour être écoutée, d’être entendue pour être obéie, car le gouvernement qui fermerait l’oreille à cette voix puissante sait de quel prix il paierait sa téméraire obstination. Si une classe nombreuse de citoyens se croit opprimée, méconnue, lésée dans son droit, elle n’a pas de peine à se faire rendre justice par celle qui détient nominalement le pouvoir. En Angleterre, jusqu’à la dernière réforme électorale, les classes populaires n’étaient pas admises dans l’édifice officiel du gouvernement, elles n’envoyaient pas de députés à la chambre des communes, et l’on affectait de les regarder comme des mineures dont l’émancipation ne pouvait être prochaine. Ce sont pourtant les classes populaires qui ont voulu et qui ont accompli la réforme, qui ont imposé leur volonté souveraine au parlement qu’elles n’avaient point élu. Elles ont fait la réforme de 1867, comme autrefois les classes moyennes firent la réforme de 1832, comme plus tard se feront les réformes nouvelles que le progrès de la société rendra nécessaires, sans secousses, sans efforts, sans révolutions, par la seule influence d’une volonté persévérante et sage, par la seule contrainte morale de la justice et de la raison.

On sait d’ailleurs quels sont les traits principaux de la dernière réforme. Bien qu’elle fasse encore reposer le droit de suffrage sur la quotité du revenu ou de l’impôt payé par chaque citoyen, elle abaisse tellement le cens électoral qu’elle le met pour ainsi dire à la portée de tout le monde. Dans les bourgs, tous les householders ou habitans d’une maison qui paient la taxe des pauvres directement ou indirectement à raison de la maison qu’ils occupent, tous les lodgers ou locataires partiels qui paient un loyer d’au moins 10 livres, jouiront dorénavant du droit électoral. Dans les comtés, aux freeholders ou francs-tenanciers qui ont un revenu de 40 shillings, aux copyholders qui ont au moins 5 livres sterling de rente, viennent se joindre à présent tous ceux qui contribuent à la taxe des pauvres à raison d’un revenu de 12 livres sterling. Les bourgs qui n’ont pas 10,000 habitans perdent le droit de nommer un député. Nous croyons que ces diverses réformes répondent amplement aux besoins actuels ; elles n’impliquent ni la condamnation des anciennes lois, ni l’inauguration d’une doctrine nouvelle éclose des rêveries d’un philosophe ou des passions exclusives d’un parti. La