exilé sans défense. Marie-Joseph, dont le cœur valait mieux que les passions, et qui avait des retours généreux après ses colères, reconnut-il jamais son tort envers celui avec qui il se rencontra plus tard dans la résistance à l’empire ?
Rentré en France au mois de février 1800, dès les premiers mois du consulat, Camille Jordan vint à Paris, et l’on nous dit qu’avec son ami Degérando il fut l’hôte de Mme de Staël à Saint-Ouen. Ce qui est vrai, c’est que le château de Saint-Ouen, qu’elle n’habitait pas cette année-là, fut mis par elle à la disposition de M. et de Mme Degérando[1], et Camille y vint passer quelque temps. Les relations amicales de Degérando avec Mme de Staël amenèrent vite celles de Camille. Si (ce qui est douteux) quelques relations déjà avaient pu être nouées avant le 18 fructidor, elles ne devinrent intimes et tendres que depuis ces années du retour. Il paraît que le bonheur que dut avoir Camille Jordan en revoyant la France ne fut pas exempt de quelques ennuis. Ses ennemis (il en avait toujours) déterrèrent je ne sais quelle lettre qu’il avait écrite, qu’il avait peut-être publiée anciennement, et qui était de nature à donner le change sur ses opinions actuelles. Cette pièce, reproduite probablement dans quelque journal hostile, provoqua la lettre de Mme de Staël qu’on va lire, et qui, je crois, est la première en date de la série que nous possédons.
« Ce 1er ventôse (1801 ?).
« Vous avez du chagrin, mon cher Camille, et je voudrais que vous fussiez avec moi. Je vous aurais montré que votre peine est beaucoup moins fondée que vous ne le croyez. Rien de plus simple que votre lettre à l’époque où vous l’avez écrite. Apprend-elle rien à personne sur vos opinions d’alors ? Touche-t-elle en rien à la moralité, du caractère ? Si, comme je le crois, vous avez depuis senti combien les principes de la liberté sont supérieurs à tout cela, vous écrirez une fois de manière à vous faire connaître, et vous vous classerez quand vous le voudrez dans un parti qui recevra toujours le talent et le courage avec reconnaissance. Vous ne feriez rien que ceci vous, laisserait dans la position où vous étiez en fructidor, et vous ne l’avez pas désavouée. Mettez-vous bien dans l’esprit que cela ne change rien à votre situation, et que votre courage et votre conduite à l’assemblée étant royalistes, vous aviez toujours besoin d’une action quelconque pour sortir de cette ligne, et cette action ou cet écrit, vous êtes toujours libre de le faire, et vous avez une élévation de style, une candeur d’âme qui vous donner à toujours le moyen
- ↑ Je consulte une intéressante brochure intitulée Souvenirs épistolaires de Mme Récamier et de Mme de Staël, par M. Degérando fils, et qui a fait le sujet d’un discours à l’académie de Metz en mai 1864. Le nom de Camille Jordan y revient souvent.