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n’a gardé que d’odieux souvenirs. Il se demande pourquoi ces différences entre les élections des comtés et les élections des villes, pourquoi ces inégalités entre les collèges, pourquoi ces disproportions choquantes entre le nombre des électeurs et le nombre des députés, pourquoi enfin ces chartes spéciales qui établissent pour certains corps une représentation particulière, et leur accordent au sein de la nation une existence indépendante et privilégiée ? Il lui parait scandaleux que le droit électoral varie suivant les lieux et les personnes ; qu’ici le suffrage soit démocratique et livré aux passions populaires, et que là-bas on le réserve soit à la propriété territoriale, soit à ses cliens les plus riches ; que dans telle cité populeuse il faille 10,000 électeurs pour faire un député, tandis que dans certains bourgs pourris sans habitans il suffira de quelques hommes tout dévoués d’avance au riche landlord dont ils cultivent les terres ou dont ils occupent les maisons. Cette variété singulière est aux yeux d’un Français le comble de l’injustice et de l’absurdité. Il s’étonne qu’au milieu de ce chaos la liberté puisse fleurir, le pays rester calme, et qu’en dépit de sa détestable origine la représentation nationale ne se montre pas indigne du grand rôle qu’elle joue.

Hâtons-nous de dire que l’ancien système électoral de l’Angleterre avait en effet des débuts graves, auxquels la réforme parlementaire de 1832 avait apporté un premier remède, et que le nouveau bill de l’année dernière vient de faire disparaître presque entièrement. L’influence exagérée de l’aristocratie avait besoin d’être contenue dans de plus justes bornes ; cette influence prépondérante devait être remplacée par celle des classes moyennes et populaires, dont l’importance croissait tous les jours. A la faveur de cette répartition trop inégale des droits électoraux, le pouvoir royal ou ministériel pouvait acheter une majorité factice en s’attachant par des dons ou par des promesses l’oligarchie territoriale, qui tenait dans ses mains une partie de la chambre. Enfin le penchant du siècle, et le tour scientifique de l’esprit moderne exigeaient qu’on soumît ces irrégularités mêmes à des principes constans qui en fissent mieux voir la sagesse. Toutefois ni la réforme de 1832 ni même celle de 1867 n’ont eu pour objet d’établir en Angleterre l’idéal de l’uniformité française ; elles ont maintenu soigneusement cette variété de représentation et de suffrage qui fait de la chambre des communes d’Angleterre l’assemblée la plus admirable et la plus complète que le monde ait jamais eue.

La composition variée de la chambre des communes est considérée par les Anglais comme la cause principale de la sagesse et de la durée de leur gouvernement parlementaire. Comme dans