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jusqu’à quel point la subordination naturelle ou l’indépendance qu’elles ont le droit d’obtenir nous permet ou nous ordonne de leur assigner dans l’état une station plus humble que la nôtre ou de les élever à notre niveau. M. Mill, avec sa hardiesse accoutumée, n’eût pas hésité à trancher le problème. M. Lorimer, malgré son exactitude scrupuleuse, ne paraît pas même y avoir songé. Peut-être est-il d’avis que le rôle naturel des femmes est non pas de vociférer dans les carrefours ou de déclamer dans les assemblées, mais de filer au coin du foyer domestique et d’élever honnêtement leur famille ; peut-être s’imagine-t-il que leur vertu, leur dignité même, exigent qu’elles restent étrangères aux intrigues de la vie publique : ce sont là des raisons qui n’ont rien à faire avec la théorie du droit absolu. Cette exception, imposée par la morale et par le sens commun, est comme la paille secrète qui fait éclater le fer le plus solide et le plus pur : elle suffit pour réduire à néant toute cette doctrine pourtant si logique et si bien conçue. Nous voyons par là combien il est imprudent de demander à des institutions même imaginaires l’application rigoureuse de tous les principes du droit idéal.


II

Nous voilà donc revenus du pays des abstractions. De ce long pèlerinage à travers la steppe aride de la métaphysique électorale, nous rapportons au moins une vérité certaine : c’est que la perfection n’est pas de ce monde, et qu’il faut en prendre franchement notre parti. Nous ne devons jamais perdre de vue les grandes idées de justice qui dominent les institutions libres et qui sont l’âme de nos droits ; mais il ne faut pas oublier qu’en politique, comme en morale, ce sont les œuvres qui sauvent encore plus que la foi. Les divers systèmes de suffrage inventés depuis que le monde existe doivent être jugés par les résultats qu’ils ont produits plutôt que par les principes d’où ils découlent : il y en a qui réussissent malgré de grands défauts théoriques, il y en a d’autres qui échouent en dépit de mille perfections. N’exigeons donc que ce qui est possible et tâchons d’être moins ambitieux.

« Le but du gouvernement représentatif, dit M. Guizot, est de mettre publiquement en présence et aux prises les grands intérêts, les opinions diverses qui se partagent la société et s’en disputent l’empire. » Ces simples paroles contiennent plus de véritable esprit démocratique que toutes les subtilités à la mode chez les panégyristes attitrés de la démocratie. La démocratie ne peut pas crier à l’oppression quand toutes les classes sont représentées d’une