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répandent dans les classes populaires, et pénètrent successivement jusqu’aux derniers rangs de la société. Ou bien les partisans de la liberté ont tort de croire que l’exercice régulier des droits politiques est la seule école où les nations puissent apprendre à discerner leurs intérêts véritables et à remplir dignement leurs devoirs, ou bien ils doivent reconnaître le grand, l’évident avantage qu’il y a pour un peuple libre à initier la foule des citoyens à la connaissance et à la pratique de la liberté. Qu’ils se l’avouent ou se le déguisent, les vrais libéraux, s’ils restent conséquens avec eux-mêmes, sont en même temps les amis les plus sûrs de la démocratie moderne. Ils peuvent déplorer ces révolutions prématurées où la démocratie n’a remporté un court et sanglant triomphe que pour servir de masque à la dictature et fournir un prétexte à la destruction de nos libertés. Ces tristes souvenirs leur ont laissé peut-être contre la démocratie quelques défiances et quelques rancunes inspirées par leur amour même du bien public ; toutefois il ne peut y avoir entre les libéraux et les démocrates aucun de ces antagonismes de principes que leurs ennemis communs inventent pour les diviser. Le libéralisme, pris dans le sens le plus large, est le principe même de la vraie démocratie. Celui-là n’est pas un libéral sincère que la démocratie en elle-même épouvante, et qui n’appelle pas de ses vœux le jour où elle méritera d’être émancipée. En un mot, la démocratie est le couronnement naturel de la liberté.

C’est surtout par des considérations de ce genre que les écrivains de l’école radicale anglaise recommandent la diffusion des droits politiques. L’un d’eux et le plus célèbre, M. John Stuart Mill, n’estime et n’admire les institutions démocratiques que parce qu’elles sont un moyen puissant d’éducation populaire. L’expérience en effet nous démontre et la raison nous enseigne que le gouvernement démocratique est celui qui développe le plus l’intelligence et l’activité des citoyens. Quels qu’en soient d’ailleurs les inconvéniens ou les vices, ses adversaires les plus décidés sont obligés de reconnaître le mouvement énergique et rapide qu’il imprime à la société tout entière. Quand tout le mérite des institutions, populaires serait d’ouvrir à la concurrence une carrière illimitée et d’accoutumer les citoyens à ne compter jamais que sur eux-mêmes, ce simple avantage rachèterait à lui seul tous leurs défauts. La concurrence démocratique étouffe peut-être certaines existences débiles qui ont besoin pour se soutenir d’une protection particulière et privilégiée ; mais combien ne stimule-t-elle pas en revanche d’entreprises qui resteraient stériles et de talens qui resteraient cachés ! Le plus grand mal du gouvernement absolu n’est pas tant dans les violences qu’il commet ou dans les injustices qu’il tolère