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racontent la gloire du Dieu fort, » comme s’exprime le prophète, ou dans les cavernes des montagnes. Elle voulut avoir pour son culte un édifice qui était « blanc et de belle apparence au dehors, dit un manuscrit du temps, mais plein de détours au dedans, » et il est propable que cette innovation provoqua la razzia, qui ne réussit qu’à expulser pour un moment la population vaudoîse. Celle-ci revint en armes sur les hauteurs du Viso, chassa la colonie catholique qui s’était emparée de ses terres, et rétablit l’antique foi des barbes dans les trois vallées. Dans la région française, l’inquisition sévit jusqu’à l’avènement de Louis XII. Ce roi, naturellement incliné à la tolérance, nomma une commission pour entendre les plaintes des habitansde Freyssinières, du Queyras, de Barcelonnette et de la Vallouise, qui lui avaient fait parvenir l’expression de leurs griefs contre les gens d’église à l’occasion de son couronnement. Le rapport de la commission conclut à l’annulation de tous les procès de religion, et le roi l’approuva par ses lettres patentes signées à Lyon le 12 octobre 1501. C’est en souvenir de la clémence royale que les habitans de la Vallouise donnèrent le nom du bon roi à leur vallée, qui avait porté jusque-là celui de Val- Pute.

Ainsi se sont conservés jusqu’à la réformation ces curieux débris de la protestation du moyen âge. Rome n’a pu les anéantir, car ils représentaient dans le monde un principe impérissable, la liberté de conscience. Ce principe était nécessaire à l’église dominante elle-même, car sans la liberté l’autorité n’est bientôt plus que le despotisme, l’arbitraire, le caprice d’une volonté imparfaite et le fléau des sociétés religieuses et politiques. Le mot de l’apôtre Paul : « il est nécessaire qu’il y ait des hérésies, » renferme une haute philosophie. C’est par les sectes et les hérésies que la grande église a été contenue et contrôlée, c’est par les sectes bien plus que par l’orthodoxie qu’est arrivée jusqu’à nous la donnée chrétienne primitive. Ces principes de tolérance, de respect de la vie humaine et de paix parmi les hommes qui s’insinuent peu à peu dans la civilisation et dans les législations modernes, ils nous sont arrivés par le courant des sectes. Ce précieux dépôt les a livrées sans défense à une église qui professait ou du moins qui mettait en pratique des principes tout contraires ; mais, en n’opposant à l’adversaire armé que leur propre faiblesse, la souffrance et le martyre, elles ont remporté la véritable victoire, la victoire de la force morale sur la force matérielle.


HUDRY-MENOS.