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secte y avait reçu moins d’élémens mystiques, et le commandement tu ne tueras point y céda plus tôt devant les nécessités de la défense. A l’approche de la croisade, les vaudois abandonnèrent les vallées du Chisone et du Pellice, dont les ouvertures sur la plaine sont trop larges et difficiles à défendre, et se retirèrent dans celle d’Angrogna, creusée au milieu des deux premières. Tout au fond de cette vallée s’ouvre l’entonnoir profond du Prà del Tor, où les barbes avaient caché leur séminaire théologique. Il est protégé au midi par le majestueux Vandalin, qui s’élève directement en face de la plaine italienne, à l’occident par les sommités de la Sella Veglia et du Rous, au nord par les rocs bouleversés de l’Infernet, et n’est accessible à une troupe armée que du côté de l’orient, où le torrent de l’Angrogna a brisé le bord de l’entonnoir en creusant son lit à travers les roches escarpées de la Rocciaglia. Un parti de croisés tenta de le prendre à revers ; mais, arrivés sur le bord occidental, au pied de la chaîne centrale des Alpes, ils y rencontrèrent les montagnards, qui les écrasèrent sous une avalanche de blocs de rochers. L’effort principal se porta sur le bord oriental, défendu par la première colline qui limite la plaine et par le défilé de la Rocciaglia. La tradition, qui côtoie sans cesse l’histoire vaudoise, a conservé le souvenir des combats livrés sur les deux fortifications naturelles du Prà del Tor. Sur la première, qui est formée par le plateau supérieur de Roccamanéot, l’Israël des Alpes fut vaincu par les nouveaux Philistins, après avoir reçu néanmoins des témoignages éclatans de l’assistance du Dieu des armées. On raconte encore sous la chaumière vaudoise quelques-uns de ces témoignages. Avant la bataille, un des chefs ennemis, espèce de géant appelé le Noir de Mondovi, voyant les montagnards à genoux et priant à haute voix, sort des rangs, s’avance vers eux, et, nouveau Goliath, outrage Israël prosterné, criant qu’il en fera un grand carnage ; mais, au moment où il lève la visière en signe de mépris et de défi, une flèche part, décochée par la main d’un pâtre que la tradition nomme, et atteint le géant au milieu du front. Sa chute épouvanta l’armée ennemie, qui plia devant une attaque impétueuse des vaudois ; mais elle revint à la charge, et il fallut abandonner ce premier point. Restait le second, le défilé de la Rocciaglia, où les bandes victorieuses s’engagèrent imprudemment. Déjà elles débouchaient dans l’asile sacré, « dernier refuge terrestre » de la foi vaudoise, dit un écrivain national[1], lorsqu’un brouillard épais s’abaissa sur l’envahisseur et l’enveloppa. Les pieux vaudois, voyant dans ce phénomène naturel un signe de l’intervention divine,

  1. Monastier, Histoire de l’Église vaudoise.