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C’est à l’aide de ce levier des âges de barbarie, c’est en excitant les haines de races qu’elle a lancé l’empire allemand sur la Bohême slave, et, une fois la lutte engagée, l’hérésie de Jean Huss et de Jérôme de Prague ne fut plus que le prétexte dont se couvrit l’antagonisme du monde slave et du monde germanique. Cette grande lutte, qui dura pendant presque toute la première moitié du XVe siècle, détourna de la région des Alpes l’attention et les efforts des papes. Ils semblent oublier ce nid de sectaires, et les princes temporels, surtout ceux du versant italien, n’étant plus stimulés par le zèle de Rome, l’oublient aussi, C’est un fait remarquable et qui ressort à chaque page de l’histoire des vaudois, que les princes de Savoie n’ont sévi contre eux que sous une pression étrangère. Les vaudois, devenus sujets des princes d’Achaïe, ne sont pas inquiétés dans leurs vallées sous l’administration patriarcale de cette branche cadette dont la capitale était à Pignerol, et, même après qu’ils sont rentrés dans le domaine de la branche aînée, on ne signale que des mesures de police destinées à les contenir dans leurs demeures et à les empêcher de s’étendre sur la plaine. Ce n’est qu’en 1473, sous la régence de Yolande de France, sœur de Louis XI, que commencent les tentatives à main armée pour amener la population dissidente dans le giron orthodoxe. À cette époque, on ne considérait pas la foi vaudoise comme une scission ou une secte qui avait rompu violemment avec l’église romaine ; on la considérait comme en ayant toujours été séparée, car dans son édit la régente déclare que sa volonté est que ceux de la vallée de Luserne puissent venir à la sainte mère église.

Cette volonté ne paraît pas avoir été d’abord très ferme : elle ne trouva d’exécuteurs que parmi les moines de la fameuse Abbadia de Pignerol, qui s’emparèrent de quelques montagnards et épuisèrent sur eux les tortures connues de l’inquisition ; mais quatre ans plus tard Innocent VIII fit prêcher la première croisade contre l’hérésie des Alpes. La bulle qu’il publia en cette circonstance se trouve dans les papiers vaudois déposés à l’université de Cambridge par l’ambassadeur de Cromwell à la cour de Turin. C’est un curieux monument de la littérature pontificale, qui montre qu’en 1477 « la secte très pernicieuse et très abominable des pauvres de Lyon ou vaudois, » probablement rassurée par les années de sécurité relative qu’elle venait de traverser, était sortie de son état occulte, et que, « loin de renoncer à ses coupables et perverses erreurs, elle n’avait pas craint de les prêcher publiquement, et d’engager par ses prédications les fidèles du Christ à mépriser nos excommunications, nos interdits et nos censures. » En conséquence, il charge l’archidiacre de Crémone, Albert Cattaneo, commissaire apostolique et inquisiteur de la foi dans les domaines de la maison de Savoie,