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explorateurs fut des plus encourageans, dit le vieil historien vaudois qui raconte l’événement[1] : un beau pays, des terres fertiles, des collines étagées sur les versans, en haut des arbres fruitiers, des noyers et même des châtaigniers, l’arbre national des vaudois, plus bas le figuier, l’olivier, l’oranger, et tout au loin sur la plaine des champs propres à la culture des céréales et de la vigne, en un mot un véritable Éden pour une population misérable retenue sur les sommets glacés par la terreur de l’inquisition. On signa donc une convention pour régler l’établissement colonial et les redevances du seigneur, acte qui fut plus tard approuvé par le roi de Naples Ferdinand d’Aragon, et aussitôt il sortit des Alpes un premier essaim qui mit à se rendre en Calabre vingt-cinq jours, ajoute notre vieil historien, dont le bisaïeul, barde vaudois, avait fait plusieurs fois le voyage. Ce premier essaim fut suivi par d’autres, car les terres à cultiver étaient considérables, et les autres seigneurs du voisinage, voyant le travail et l’activité des émigrans, les attirèrent aussi sur leurs domaines par des conventions semblables.

Gilles place en l’année 1316 le commencement de cette curieuse émigration, qui fonda plusieurs bourgs ou villages dont les noms rappellent encore leur origine, entre autres la Guardia dei Lombardi, le Borgo degli Oltramontani, et les deux villages de Montaut et de Monteleou, qui trahissent une origine provençale. Les mots aut et leon, qui signifient haut et lion, sont en effet tirés de la langue d’oc. Cette émigration avait donc entraîné au fond de l’Italie les malheureux débris échappés à la croisade albigeoise et concentrés dans les Alpes. Vaudois et albigeois venus des bords du Rhône et de la Garonne, sectaires primitifs de la région du Viso, tous s’étaient jetés pêle-mêle dans l’issue ouverte au réservoir trop plein. Ils s’y étaient jetés avec d’autant plus d’empressement que ce courant d’émigration les éloignait alors de l’ennemi traditionnel qui venait d’élire domicile sur le versant français, à Avignon. De ce côté, le mouvement d’émigration est contenu pendant le XIVe siècle ; mais aussitôt que la papauté est rentrée à Rome, on voit la région des Alpes essaimer aussi sur la Provence. Ce fut également l’intérêt féodal qui ouvrit cette issue, non moins curieuse que l’autre. Vers l’année 1400 d’après l’historien de Thou, plus tôt d’après Camérarius, les seigneurs de Boulier-Cental et de Rocca-Sparviera attirèrent les émigrans dans la vallée d’Aiguës, sur les pentes adoucies du Lube-ron, et les y fixèrent par un bail emphytéotique, espèce de contrat féodal qui aliénait le domaine direct en réservant au seigneur le haut domaine avec une redevance perpétuelle en argent ou en nature. Une guerre de dix ans avait dépeuplé cette vallée, et tout le

  1. Gilles, Histoire des églises réformées autrefois appelées vaudoises, Genève 1644.