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catharisme gréco-slave s’était scindé sur cette doctrine en deux sectes que Raineri appelle les branches de Concorezzo et de Tragurium, noms défigurés de Görtz en Illyrie et de Trau en Dalmatie. La branche de Görtz professait un dualisme mitigé, dont le principe mauvais n’est pas éternel, et se réduit presque aux proportions de celui de la donnée chrétienne. C’est cette branche cathare qui avait envahi le midi de la France. Même réduit à ces proportions, le dualisme y est resté une doctrine d’initiation limitée à la classe des parfaits, et quand cette classe fut emportée par la mort ou l’exil, la doctrine occulte disparut avec elle, et on n’en saisit plus trace dans les réponses des accusés. Le dualisme étant le point faible de la théologie sectaire et ce qui en faisait un objet d’horreur pour le peuple catholique, les inquisiteurs et les controversistes insistent sur ce point, pressent les accusés, multiplient les tortures et les accusations ; mais les simples croyans ne savent rien de cette cosmogonie asiatique des deux principes éternels, et leurs aveux sont en tout conformes à ceux des vaudois. On est confondu d’étonnement en lisant les procès-verbaux de l’inquisition de Toulouse et de Carcassonne. Comment la papauté a-t-elle pu de gaîté de cœur ameuter toutes les mauvaises passions du moyen âge et soulever l’antique barbarie contre des hommes aussi simples, aussi doux, aussi pénétrés de la foi et de la morale du christianisme ? En présence de ces persécutions implacables, acharnées, on s’explique parfaitement que l’idée d’une église satanique et d’un dieu mauvais, vengeur et exterminateur, ait germé dans la conscience indignée de ces malheureux. En tout cas, elle ne fut admise que par les exaltés du catharisme, et une fois ceux-ci disparus et l’organisation ecclésiastique décapitée de sa hiérarchie, la secte albigeoise fut ramenée au niveau de l’humble association semi-occulte des montagnards des Alpes. Alors les deux branches de la protestation se rapprochèrent par un mouvement analogue à celui qu’on a vu se produire de nos jours dans la Prusse et dans le royaume de Wurtemberg entre les luthériens et les calvinistes, réunis sous la même dénomination d’église évangélique. Déjà confondues dans le même martyre, elles n’ont plus formé dès lors qu’une seule et même secte.

L’effet du rapprochement religieux est sensible sur la direction que prirent les fugitifs. Ils ne cherchèrent pas d’abord les mêmes pays de refuge. Les vaudois gagnent les retraites des Alpes par les vallées qui débouchent sur la Durance, où le roi d’Aragon, souverain du comté de Provence, leur fait donner la chasse dès le commencement de la croisade, et les albigeois vont en Lombardie ou s’échappent par la mer vers l’Italie méridionale. C’est en Lombardie que nous retrouvons les noms marquans de l’albigéisme, Bernard Oliba, son frère Pons, Raymond de Bautio, Bernard Prim et