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main-forte aux inquisiteurs. L’un de ces documens donne même les noms de quelques fugitifs, et ces noms sont ceux de sectaires qui figurent dans le mouvement religieux du midi. Il ne reste donc aucun doute sur ce courant d’émigration, qui paraît avoir été déterminé, comme celui qui se dirigea sur la Lombardie, par l’existence de centres sectaires de même religion dans le royaume de Naples.

L’émigration emporta d’abord les sectaires les plus en vue, les plus compromis, ceux qui n’avaient pas d’autre perspective que la mort ou l’immuration dans leur pays, les dignitaires ecclésiastiques albigeois, évêques, ministres, diacres et anciens. A ceux-là, l’église n’accordait pas de quartier. Les écrivains orthodoxes les appellent les hérétiques par excellence, et on les brûlait impitoyablement. Les parfaits surtout sont poursuivis avec un acharnement étrange. Ils furent les premiers décimés par la guerre et la persécution oui emportés par l’émigration. Il n’en restait plus au midi de la Loire en 1274, et on lit à cette date dans les manuscrits de Doat la plainte touchante d’un pauvre croyant albigeois qui se lamente de ce qu’il n’y a plus de bonshommes pour administrer la consolation aux mourans : « A quoi nous sert-il de rester dans ce pays et d’y travailler, puisque nous n’avons plus de ces bonshommes qui savaient nous apporter la consolation à nos derniers momens ? Hélas ! durera-t-elle toujours cette cruelle persécution ? Quel malheur pour nous. pour le salut de nos âmes, que ces fidèles serviteurs de Jésus-Christ soient ainsi forcés de vivre à l’étranger ! Notre pays n’en serait que plus heureux, si tous ces exilés pouvaient y revenir. »

Avec les saints et les hauts initiés du catharisme disparurent aussi les différences d’organisation et de croyance qui avaient jusque-là séparé les deux sectes. Vaudois et albigeois ne formèrent plus qu’une seule et même protestation. Cette fusion, à laquelle les écrivains orthodoxes prêtent peu d’attention, est l’événement le plus important dans l’histoire des deux sectes. Elle s’accomplit au plus fort de la persécution. L’organisation albigeoise, hiérarchique et imitée de celle de Rome, attirant le regard et présentant plus de surface aux coups de l’adversaire, fut beaucoup plus éprouvée et plus vite atteinte que celle des barbes des Alpes, humble, occulte, insaisissable et fuyante. Un vaudois mettait en pratique le précepte de l’Évangile : « quand ils vous persécuteront dans une ville, fuyez dans une autre, » tandis que le cathare albigeois, celui du moins qui était arrivé à la perfection, se raidissait, attendait la mort, lorsqu’il ne courait pas au-devant de l’ennemi. L’imitation des parfaits, formant en quelque sorte une secte dans la secte, disparut bientôt dans le cercle de fer et de feu où l’église et l’état l’avaient enfermée, et avec elle la doctrine dualiste, dont les parfaits étaient les seuls dépositaires. Avant même la croisade albigeoise, le