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secte avait trouvé des protecteurs puissans. La plupart des grandes familles gibelines, les Manfredi di Sesto, les Biandrate de la Valsesia, les Cortenova, les Gonfalonieri d’Allia, les Pallavicini et les Della Torre de Milan, abritaient des congrégations de paterini sur leurs terres ou dans les villes qui subissaient leur influence. Le comte Uberto Pallavicini avait attaché à sa maison comme ministre le parfait provençal Béranger, célèbre dans sa secte par son éloquence et très redouté de Rome. L’inquisiteur Raineri, ayant voulu s’opposer à ce choix, fut expulsé de Milan, où dominaient alors les Pallavicini et les Della Torre. Le fameux Eccelino III da Romana protégeait aussi les églises cathares dans la marche trévisane, dont il s’était emparé, et en 1256 le pape Alexandre IV fit prêcher contre lui une croisade qui abattit sa puissance. C’est auprès de ces seigneurs gibelins et ennemis de la domination du pape que se réfugièrent les albigeois échappés aux massacres du midi. A Vérone, l’église cathare avait à sa tête un réfugié, Bernard Oliba, évêque hérétique de Toulouse. Elle comptait, dit Raineri, 150 parfaits venus de la langue d’oc. Il se forma aussi à Como, à Crémone, à Pavie et à Vicence des centres religieux, qu’on appelait les églises du refuge, pour recevoir les épaves de la persécution albigeoise. Les affinités de l’italien du moyen âge et de l’ancienne langue des troubadours, affinités qui ont été mises en lumière par les savantes études de Raynouard et de Perticari, ne sont pas étrangères sans doute à cette affluence des réfugiés de la langue d’oc dans la Haute-Italie ; mais ce qui a surtout déterminé le courant cathare dans cette direction, ce sont les affinités religieuses. Les albigeois étaient attirés par leurs frères dans la foi comme trois siècles plus tard les luthériens et les calvinistes français échappés aux dragons de Louis XIV l’ont été par les pays où dominait leur forme préférée d’église.

Un courant d’émigration qui a laissé moins de traces dans l’histoire est celui qui s’est dirigé sur le midi de l’Italie. Deux documens découverts récemment dans les archives de la maison d’Anjou à Naples pnt révélé cette direction prise par quelques réfugiés. On sait que Charles d’Anjou, frère de saint Louis, fut appelé en Italie par le pape Urbain IV contre les Hohenstauffen, et qu’il renversa leur domination dans les deux sanglantes batailles de Benevento et de Tagliacozzo, en 1266 et 1268. Maître du royaume des Deux-Siciles, il s’occupa d’en extirper l’hérésie qui s’y était amassée sous la dynastie populaire et anti-papale qu’il venait de détruire. Les deux documens en question sont des diplômes par lesquels il donne plein pouvoir aux inquisiteurs pour rechercher les fugitifs échappés de la France méridionale. Il écrit à ses comtes, marquis, barons, podestats et consuls de favoriser ces recherches et de prêter