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n’est pas la véritable église. Avant cet effroyable déchaînement de violences, pendant que Rome agissait encore par les voies de la persuasion, on voit beaucoup d’hérétiques retourner à l’orthodoxie ; mais depuis le commencement de la guerre ils meurent au lieu de se rendre, ils meurent par centaines, quoiqu’on leur offre la vie, s’ils veulent prononcer seulement une parole d’adhésion à l’église. Les catholiques eux-mêmes, qui étaient restés neutres avant la croisade, confondirent dans la même haine la papauté et la monarchie quand ils virent les maux qu’elles avaient déchaînés sur le midi. Simon de Montfort sentit bien que la guerre allait donner à l’esprit sectaire le rempart de l’esprit national. Il ordonna dans les domaines du comte de Toulouse, que le pape lui avait inféodés, que les filles des seigneurs catholiques ou leurs veuves ne pourraient épouser que des chevaliers du nord, afin d’introduire un autre esprit dans les hautes classes méridionales. La monarchie française suivit la même politique, et les grandes familles du midi furent peu à peu remplacées par celles du nord ou alliées avec celles-ci. Grâce à cette politique violente, imitée de nos jours par la Russie, la protestation religieuse tomba enfin avec la protestation nationale ; mais cette œuvre fut longue. Après une guerre de quarante ans, interrompue seulement par des trêves de courte durée, il y fallut encore soixante ans de persécution. Une législation atroce, produit de l’union de l’église et de la monarchie, succède à la croisade. Jusque-là, le bras séculier avait frappé, massacré et incendié aux ordres de Rome, sans loi ni règle ; mais voici la répression légale et régularisée. Tous les cas d’hérésie définis par l’autorité religieuse reçoivent leur châtiment en vertu d’une loi civile. L’infraction à l’orthodoxie est un crime contre l’état ; coupable de lèse-majesté divine, l’hérétique devient par là même coupable de lèse-majesté humaine ; retranché de l’église, il est aussi retranché de l’état. Les ordonnances de saint Louis ont un mot qui exprime sa condition : il est « faydit, » c’est-à-dire réfractaire de la société humaine, religieuse et politique, et comme tel banni de la terre des vivans. Il n’a plus le droit de vivre. Ses biens sont confisqués, sa maison est démolie, et sur l’emplacement on ne rebâtira jamais, afin de porter aux générations futures l’horreur de son crime. Pour tomber dans cette condition effrayante, il suffit d’un jugement du tribunal de l’inquisition. La procédure suivie envers l’accusé, traité tout d’abord en coupable, lui enlève tout moyen de défense. Il ne connaîtra ni son dénonciateur ni les témoins. Ce qu’il y a de plus étrange, c’est que, même alors qu’il se reconnaît hérétique, on ne se fie pas à sa parole, on veut encore lui arracher l’aveu par la torture. Les peines portées sont de trois sortes : la mort par le feu pour celui qui a occupé un ministère dans la secte, pour les évêques, les