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de civilisation, qui tendent à laisser chacun libre dans sa conscience et sa religion ; mais alors l’esprit de protestation invoquait des argument d’un autre ordre. L’orateur vaudois de la conférence de Montréal, un certain Arnaud Hot, soutient que le ministère apostolique s’était vicié dans l’église en devenant un ministère temporel et politique. Il parla longuement, dit Jacques Ribera, et en langue vulgaire. Si les chroniqueurs avaient rapporté son discours tel qu’il fut prononcé, on aurait sans doute un curieux monument de cette langue d’oc, qui jetait alors un si vif éclat dans la poésie des troubadours. Guillaume de Puy-Laurent rapporte qu’en entendant cette parole ardente, en voyant l’impression produite sur la foule qui assistait aux débats, les légats levèrent brusquement la séance et se retirèrent avec leurs adhérens. Les arbitres ne prononcèrent pas de jugement ; la désertion du champ de bataille en disait plus que toutes les décisions. On avait si peu de confiance aux lumières des clercs que tous les arbitres choisis des deux parts étaient laïques. Guillaume de Puy-Laurent s’en indigne et s’écrie : « O honte ! que l’église et la foi catholique soient tombées dans un tel mépris que l’on s’en remette au jugement des laïques ! »

Découragés et irrités de tant d’insuccès, les légats renoncent aux conférences publiques et divisent leur armée missionnaire en petits groupes de deux ou trois apôtres pour imiter plus complètement le mode d’évangélisation sectaire. L’un de ces groupes, formé de l’évêque d’Osma et du fameux Dominique, se porta sur Pamiers, dans le comté de Foix, où il y avait beaucoup de vaudois. Bien que les conférences publiques eussent peu réussi, le zèle ardent de Dominique pour la conversion des hérétiques lui fit accepter celle qu’on lui offrit dans cette ville. Elle se tint au château du comte, et cette fois l’apôtre orthodoxe obtint un magnifique succès qui aurait dû encourager la papauté à persévérer dans la voie pacifique. Il ramena à l’église un certain nombre de vaudois gagnés par la parole enthousiaste d’un homme qui s’efforçait d’imiter leurs barbes errans, et qui réalisait dans sa vie leur idéal de pauvreté apostolique. Avec ces nouveaux convertis, il fonda sur le modèle du preverage vaudois un ordre religieux appelé les pauvres catholîques, pour travailler avec lui à la conversion de leurs anciens coreligionnaires. Encouragé par ce triomphe, il poursuit l’œuvre pacifique avec un zèle qu’on ne peut s’empêcher d’admirer. Cet homme qui va épouvanter le monde par des supplices l’étonne d’abord par une piété profonde et un zèle religieux incomparable. Il aurait voulu, dit-il lui-même, donner sa vie pour sauver les âmes ; il aspirait au martyre, mais à un martyre horrible, afin que la vue de ses os brisés et de ses entrailles arrachées fît impression sur le cœur des hérétiques rebelles. Dans son enthousiasme, il court là où