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murailles et de leurs franchises, gouvernées par leurs consuls ou leurs capitouls sortis de l’élection. Dans l’enceinte même de la ville, l’individualisme s’était fortifié. le riche bourgeois s’était construit une maison flanquée de tours où il se sentait à l’abri des puissances politiques et religieuses. Au dehors, les barons de vieille race avaient planté leurs châteaux-forts sur toutes les éminences de la contrée. Derrière ces remparts, la personnalité humaine avait atteint dans les classes supérieures de la chevalerie et de la bourgeoisie des proportions parfois gênantes pour les existences moins hautes ; mais ce développement de la vie individuelle, qui fut si fatal à la liberté des petites républiques italiennes, est tempéré dans le midi de la France par la générosité du caractère national, par une sympathie naturelle, un besoin de relations sociales et un tour d’esprit communicatif qui inclinait les grands vers les petits, les forts vers les faibles. Pendant qu’au nord de la Loire la chevalerie demeure une caste fermée, au midi elle s’ouvre toute grande du côté de la bourgeoisie et du peuple, elle s’ouvre à tout ce qui s’élève, aux nobles sentimens et aux nobles actions, au mérite guerrier et à la poésie. La gaie science et la guerre furent à la chevalerie méridionale ce que sont aujourd’hui le génie et la fortune à l’aristocratie anglaise. Des troubadours sortis des derniers rangs reçoivent l’accolade des barons, marchent de pair avec eux, et souvent obtiennent le pas sur eux à la cour et les préférences dès grandes dames, ils sèment à pleines mains les sentimens chevaleresques, la religion de la loyauté, de l’honneur ; de la courtoisie, de la pitié pour l’opprimé, et cette religion tempère ce qu’il y a encore de violent et d’excessif dans les mœurs. Leurs chants dissipent le fanatisme sombre et les préoccupations, étroites qui produisent l’intolérance et l’oppression. Aux accens harmonieux de la lyre provençale s’élève une civilisation originale, naïve, spontanée, qui repousse la contrainte de la règle, où s’épanouit librement la souveraine indépendance du caractère. C’est surtout dans les choses de la conscience que cette indépendance se manifeste. Le comte de Foix s’indignait à la seule pensée de l’intervention du pape sur ce domaine réservé. « Quant à ma religion, dit-il un jour au légat d’Innocent III, le pape n’a rien à y voir, vu que chacun la doit avoir libre. Mon père m’a recommandé toujours cette liberté, afin qu’étant en cette posture, quand le ciel croulerait, je le pusse regarder d’un œil ferme et assuré, estimant qu’il ne me pourrait faire aucun mal. » Cette fière attitude n’était pourtant point un défi porté par l’incrédulité contre le monde surnaturel. L’homme du moyen âge n’a point connu le procédé de la raison pure qui élimine les affirmations de la foi, Les esprits forts de cette époque ne sont pas