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cathare a exercé une grande influence non-seulement sur sa secte, mais encore sur la population demeurée catholique. On le croyait revêtu d’une puissance surnaturelle dans l’ordre moral et dans l’ordre physique : il commandait aux vents et à la tempête, il délivrait des puissances invisibles de l’air ; par la parole sacramentelle et l’imposition des mains, il sauvait les âmes, chassait le grand Satan et rétablissait le règne de Dieu dans le monde des esprits. On lui donnait des noms qui expriment les idées superstitieuses qu’on avait de lui : dans le midi de la France, les parfaits sont appelés les bons chrétiens, les bonshommes, les consolateurs ; en Italie, leur invincible patience dans les souffrances les fit appeler patari et paterini, de pati, souffrir, et cathari à cause de la pureté de leurs mœurs ; dans les pays gréco-slaves, ils reçurent le nom étrange de θεοτόχοτ, qui signifie pères de Dieu, parce qu’ils étaient censés engendrer le Verbe de Dieu dans les âmes chaque fois qu’ils administraient le consolamentum.

Ainsi s’avancent sur les plages méridionales les deux protestations albigeoise et vaudoise, divisées sur leurs principes de croyance et d’organisation religieuse, mais unies par des préceptes moraux communs. Extérieurement, et à les considérer dans la vie pratique, le barbe vaudois et le parfait albigeois se ressemblent, ils poursuivent la même perfection, cette perfection ascétique consistant dans le renoncement au monde, le détachement des richesses et la pauvreté apostolique ; mais ils la poursuivent sous une impulsion de foi différente. L’un, tourmenté de l’illusion que le monde visible est l’œuvre du diable, aspire à en sortir et livre au corps qui retient l’âme captive une guerre à mort, réprimant les affections naturelles, même légitimes, comme des inspirations du mal, et exerçant sur lui-même des violences qui rappellent les anachorètes du désert et les fakirs de l’Inde. L’autre agit sous l’empire d’une foi plus chrétienne et plus rationnelle en un Dieu unique qui a créé le corps aussi bien que l’âme ; mais il n’en admet pas moins l’existence du mal dans l’homme et dans le monde, et aspire aussi vivement à déloger, selon l’expression de l’apôtre Paul, pour être avec son Dieu et son sauveur. Dans la morale, les deux sectaires aboutissent à des résultats identiques. Ce que l’un fait par terreur, l’autre le fait par amour. Chez les deux, la domination de l’esprit sur la matière est portée à un degré de puissance qui a étonné le moyen âge, et qui explique les succès rapides de la propagande hostile à l’orthodoxie. La brusque invasion du midi par les deux sectes est demeurée pour beaucoup d’historiens un fait inexplicable ; mais ils n’ont pas réfléchi à l’impression qu’a dû produire sur l’esprit d’une population vive et mobile l’arrivée de ces apôtres