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mourir, tous furent brûlés, à la joie immense, dit le moine de Vaux-Cernay, des bandes du nord. Les femmes ne montraient pas moins de courage que les hommes. L’inquisiteur Moneta, cathare converti, parle dans sa somme[1] d’une Milanaise jeune et belle qu’il voulait sauver de la mort. Il fit dresser devant elle le bûcher qui devait brûler son père, sa mère et ses frères, espérant qu’en présence de ce spectacle horrible elle se laisserait arracher une abjuration qui la sauverait. Il n’en fut rien. Elle regarda d’un œil sec tous ces préparatifs, sa famille liée sur le bois, la torche qui s’en approche, la flamme qui monte, et tout à coup, échappant aux mains des familiers de l’inquisition, elle s’élança dans le brasier, où elle fut consumée avec ses parens. Ce courage répandait autour des martyrs cathares un enthousiasme contagieux dont les inquisiteurs eux-mêmes ne purent pas toujours se garantir, et l’on vit à Cologne en 1234 le moine Échard, jusque-là tourmenteur d’hérétiques, entraîné par le vertige de ses victimes, se précipiter avec elles sur le bûcher qu’il leur avait préparé. Si cette folie de la mort gagnait jusqu’aux bourreaux, quel ne devait pas être sur la foule l’effet de tant d’héroïsme devant les supplices ! Les bûchers ne faisaient que multiplier les sectaires. L’église dut se montrer moins prodigue d’auto-da-fé, et elle mit à la mode les tortures à huis clos, les morts lentes des oubliettes. Partout s’élevèrent des prisons construites avec les biens des hérétiques, où ils se consumaient en secret sans répandre autour d’eux cette puissance mystérieuse de prosélytisme qu’engendrent la souffrance et la mort supportées avec résignation.

L’ordre des parfaits a été nécessairement limité par cette perfection surhumaine qu’il exigeait de ses initiés. L’inquisiteur Raineri en porte le nombre à 4,000, répandus en Italie et dans le midi de la France. Il est vrai que ce chiffre est donné après 1240, c’est-à-dire après les grandes exterminations qui en avaient dû éclaircir déjà les rangs des deux côtés des Alpes ; mais en aucun temps ils n’ont formé la majorité de la secte. La grande masse du catharisme est demeurée au-dessous de cette perfection délirante et même en dehors de la croyance dualiste qui produisait ces étranges phénomènes moraux. On voit en effet dans les manuscrits de Doat que les parfaits ne révélaient pas toute la doctrine cathare aux simples croyans. Ceux-ci, interrogés par l’inquisition, ne savent rien de cette théogonie qui fait sortir le monde visible, la matière et les corps des mains du diable, ni de cette exégèse qui fait de l’Ancien Testament la révélation de Satan. Ils protestent seulement qu’ils forment la

  1. Adversus Catharos et Valdenses libri V.