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langue d’oc : « Dieu te bénisse, Deus fassa bon chrestian, Deus port a Aana.fi. » Puis il lui adressait une série de questions liturgiques sur le genre de vie qu’il devait mener. « Promets-tu de ne pas manger de viande, d’œufs, de fromage, et de te nourrir exclusivement de ce qui vient de l’eau et des végétaux ? Promets-tu de ne pas mentir, de ne pas jurer, de ne pas tuer ? Promets-tu de ne pas livrer ton corps à la concupiscence, de ne pas vivre dans la solitude quand tu peux avoir une compagnie, de ne pas manger seul quand tu peux avoir des commensaux, de ne pas te coucher sans être vêtu d’une chemise et d’un caleçon, et de ne pas abandonner la foi par crainte du feu, de l’eau ou de tout autre supplice ? » — Je le promets, répondait l’initié à toutes ces questions. On lui passait autour du cou un fil de laine ou de lin qu’il ne devait plus quitter : c’était le symbole de la chasteté perpétuelle qu’il s’engageait à garder. L’assemblée tout entière tombait alors à genoux., on récitait l’oraison dominicale à l’unisson, et la cérémonie se terminait par la communion du baiser de paix, imitée des premiers chrétiens. Le ministre la donnait d’abord au nouvel initié en l’embrassant sur la bouche, celui-ci rendait le baiser à son voisin, et la paix circulait à la ronde jusqu’au dernier assistant, à moins qu’il n’y eût des femmes dans l’assistance. La morale cathare, inspirée par la croyance que l’attrait des sexes est une invention du malin pour prolonger la captivité de l’âme dans les corps, interdisait aux initiés du consolamentum non-seulement l’union légitime du mariage, mais encore le simple contact de la femme. Pour elle, la communion de la paix qui terminait toutes les cérémonies cathares prenait un autre tour. On lui donnait la paix en la touchant non de la main, mais du coude, et en la frappant sur l’épaule avec l’Évangile du Dieu bon, avec le Nouveau Testament, car l’ancien était censé celui du grand Satan. La femme rendait la paix de la même manière, si son voisin était d’un sexe différent, et dans la forme accoutumée, c’est-à-dire par un baiser sur la bouche, si c’était une femme.

L’état moral du consolé était changé par cette cérémonie, il n’était plus le même homme, il n’appartenait plus au monde, à Satan et à ses pompes, car la secte avait aussi emprunté à l’église dominante sa doctrine sur la vertu surnaturelle du sacrement. Le christianisme primitif est la seule religion qui ait attaché la conversion au principe de la foi, à un sentiment personnel et libre, et vouloir faire découler de certains rites des effets surnaturels, c’est s’écarter de la spiritualité et de la liberté des premiers siècles. Le catharisme ne put échapper entièrement à cette tendance. Avec la grande église, il a professé la doctrine matérialiste que les théologiens ont