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a revêtu la forme ecclésiastique épiscopale ; l’évêque y occupe le premier degré, du moins le premier degré bien connu de la hiérarchie. Par là il se distingue de l’église vaudoise, qui a été de tout temps presbytérienne, ne reconnaissant pas de fonction supérieure à celle du simple prêtre. Le presbytérianisme est la forme constitutive du christianisme persécuté. Ce n’est qu’aux époques où il est devenu religion d’état et église officielle, c’est-à-dire lorsqu’il s’est altéré dans son esprit, qu’il a poussé par en haut une végétation inutile et épuisante de fonctions et de dignités supérieures. On comprend que l’église vaudoise, opprimée jusqu’à nos jours, se soit enfermée dans cette constitution primitive, et qu’elle se soit retranché ce luxe de hautes dignités qui ne pouvaient que la compromettre et attirer les foudres de l’église rivale. Le catharisme, plus audacieux ou moins scrupuleux dans le choix des matériaux dont il a construit son sanctuaire, a eu la prétention de s’élever à la hauteur de l’église romaine et de reproduire dans sa constitution tous les étages de l’échafaudage papal. Il se découpe sur la terre de la « langue d’oc » de grands diocèses mesurés sur les diocèses catholiques et divisés en paroisses ou congrégations. A la tête de chacun d’eux étaient placés des évêques dont les écrivains contemporains donnent les noms et la succession ; au-dessous venaient les deux fils spirituels de l’évêque, le majeur et le mineur, dont le premier était son successeur désigné, puis les ministres, les diacres, les anciens ; enfin nous retrouvons ici les deux grandes divisions du catholicisme, l’église enseignante et l’église enseignée, appelées par les cathares l’une l’ordre des consolés et l’autre l’ordre des croyans. On passait de celui-ci à celui-là par l’ordination du consolamentum, sacrement qui conférait au croyant des grâces surnaturelles et une vertu merveilleuse.

Un écrit recueilli par deux moines laborieux de la congrégation de Saint-Maur[1] nous apprend comment s’accomplissait cette initiation. On se réunissait de nuit, en silence, dans un lieu caché aux regards profanes, éclairé par de nombreux flambeaux qui symbolisaient le baptême du feu, — symbole expressif, car l’initié, s’il était découvert, était de droit voué au bûcher, — on se groupait en cercle autour du récipendiaire, seul au centre, à genoux et prosterné à la manière orientale, les mains appuyées sur le sol. Le ministre, rompant le cercle, s’approchait un évangile à la main, et, Je posant sur la tête du croyant, lui demandait par trois fois : « Frère, veux-tu te rendre à notre foi ? — Oui, bénissez-moi. » Alors, étendant les mains, le ministre le bénissait en lui disant en

  1. Martène et Durand, Thésaurus novus anecdotorum.