Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/574

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exclusivement chrétienne ; mais la puissance incomparable de dévouement et d’amour qu’il a développée dans le monde, la patience de ses disciples au milieu des persécutions, leur enthousiasme devant le bûcher, leurs mœurs pures, leur piété profonde, font de cette secte, pour l’observateur dégagé des préjugés d’église, comme une des plus hautes expressions de la morale chrétienne. Si le catharisme est dualiste par la théologie, il est vraiment évangélique, par les œuvres. On ne peut en bien saisir la constitution et la discipline que lorsqu’il s’est assis dans le midi de la France, vers la fin du XIIe siècle. Jusqu’alors il avait erré sur une grande partie de l’Europe, sur le Danube, le Rhin, dans nos provinces du nord, rassemblant çà et là des congrégations éphémères et semant sa route incertaine des cendres de ses disciples brûlés vifs. Ce n’est que sur deux points, le nord de l’Italie et le midi de la France, qu’il a pu résister assez longtemps à l’orthodoxie pour se constituer et permettre de l’étudier à l’aise.


I

Ce qui frappe d’abord l’attention dans le catharisme albigeois, c’est sa tendance à imiter la hiérarchie de l’église dominante. Sur la constitution sectaire, on aperçoit nettement dessinés tous les ordres et tous les degrés de la constitution romaine. L’existence du pape cathare, mise en doute par des écrivains modernes, a été reconnue par des écrivains contemporains. Le prévôt de Steinfelden, Évervin, écrivant à saint Bernard, lui dit que les cathares ont un chef suprême, suum papam habent, et l’abbé Joachim de Flore, le célèbre fondateur de la religion de l’Évangile éternel, qui s’efforçait de les convertir dans la Calabre à l’idée de la troisième alliance de grâce, assure qu’ils obéissaient aveuglément à ce chef qu’ils nommaient « l’apostole. » Des pays slaves, où il réside, il fait des apparitions fréquentes en Italie et en Languedoc. Il préside en 1167 le concile hérétique de Saint-Félix-de-Caraman. On voit par une lettre du légat du pape Conrad, adressée en 1223 aux évêques du midi, que ce chef redouté envoie aussi des légats aux églises persécutées pour les affermir dans la foi et offrir un asile aux fugitifs. Le lieu de sa résidence est placé par l’inquisiteur Raineri à Tragurium, nom latin de la petite ville de Trau en Dalmatie, la ville sainte du catharisme. D’autre part, il résulte des actes mêmes du concile de Caraman qu’il résidait à Constantinople et s’appelait alors Nicétas. Quoi qu’il en soit, l’autorité d’un chef suprême n’a pu grandir et se développer dans la secte cathare comme dans l’église catholique, et Y évoque y est seul resté en vue. Le catharisme