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état moderne que quand le lien qui joint ses différentes parties sera devenu aussi serré que celui qui unit les états de la confédération de l’Allemagne du nord. Lorsque les Hongrois verront que le régime constitutionnel est définitivement établi dans la Cisleithanie, il est possible qu’ils acceptent un semblable régime ; mais, en attendant que ce moment vienne, l’union personnelle offrirait, je crois, moins d’inconvéniens que le système de l’Ausgletch. Voici pourquoi. D’abord ce genre d’union a pour lui l’expérience historique. Il existe entre la Suède et la Norvège, entre la Russie et la Finlande, entre la Hollande et le Luxembourg ; il a longtemps existé entre l’Autriche et la Hongrie. Il répond donc aux nécessités de certaines situations, puisque celles-ci le font naître naturellement. Les combinaisons politiques nouvelles, créées de toutes pièces, inventées par un homme, quelque ingénieux qu’il soit, ont peu de chances de durée parce qu’elles n’ont pas de racines dans les sentimens des peuples qu’elles doivent gouverner. En fait de constitutions, qui peut se vanter d’avoir eu un génie plus subtil que Sieyès, et cependant combien de temps a vécu celle qu’il avait donnée à la France ?

Avec l’union personnelle disparaissent ces occasions de conflit que le système des délégations peut faire naître à chaque instant. Maintenant, si la Hongrie se croit mal gouvernée, lésée, elle s’en prendra au ministère central, aux « Allemands, » et l’antique animosité, momentanément assoupie, se réveillera plus violente que jamais. Laissez-la se gouverner elle-même, et elle ne pourra accuser que ses propres défaillances, si elle ne l’est pas bien. Rien n’est plus dangereux que d’accorder à une commission émanée d’un parlement étranger le moindre droit d’ingérence dans la gestion des intérêts d’un peuple fier, susceptible, ombrageux, ulcéré par les souvenirs du passé. Ou de ce droit il ne sera pas fait usage, et alors autant ne pas l’accorder, ou l’on s’en servira, et en ce cas il est à craindre qu’il ne produise un antagonisme qui menacera jusqu’à l’union elle-même.

Le système actuel offre, je crois, moins de garanties à l’unité que l’union personnelle. Toute mesure, pour acquérir force exécutoire, doit être acceptée par les deux délégations, c’est-à-dire en réalité par le parlement de Vienne et par celui de Pesth. Autant vaudrait donc la faire voter directement par ces deux assemblées. De cette façon l’exécution en serait bien plus assurée, car ceux qui en seraient chargés seraient les ministres mêmes qui l’auraient fait passer ; elle serait appuyée d’ailleurs par toute la majorité qui l’aurait défendue par ses discours et consacrée par ses votes, au grand jour de la tribune, au sein même du pays, et l’on ne pourrait plus