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même, car les décisions prises par les délégations pourront toujours être annulées dans la pratique.

En résumé, le dualisme établi par l’Ausgleich rappelle ces organisations imparfaites du moyen âge, semblables à celle du saint-empire romain ou de la défunte confédération germanique, que l’Allemagne vient de secouer avec un si vif sentiment de délivrance. C’est un lien fictif : il n’unit point l’Autriche et la Hongrie d’une façon vivante, conforme aux besoins des états modernes ; il les attache toutes deux à un mécanisme mal conçu, qui ne leur apporte aucune force et qui les conduira peut-être à de nouveaux conflits, qui en un mot peut faire très peu de bien et beaucoup de mal.

Mais ces défauts si graves de l’Ausgleich n’ont-ils donc pas été aperçus par ceux qui l’ont fait adopter ? Ils n’ont, je crois, complètement échappé à personne. M. de Beust est loin d’être convaincu de l’excellence du mécanisme politique dont il doit diriger la marche ; souvent déjà il l’a laissé entendre. Au sein de la commission des 67, la gauche a vivement combattu les délégations, et par de très bonnes raisons. M. Deák lui-même, en défendant une conception qui est sienne, n’en a point dissimulé les imperfections. D’où vient donc qu’on ait adopté une combinaison dont personne au fond n’est satisfait ? Par la même raison qui a conduit au dualisme, parce que dans la situation où l’on se trouvait cette combinaison était encore la moins mauvaise. La Hongrie prétendait conserver son indépendance absolue, et elle n’aurait jamais consenti à se soumettre aux décisions d’un parlement central ; d’un autre côté, l’empereur, dans l’intérêt de l’unité de ses états, ne croyait pas pouvoir admettre le système de l’union personnelle, et il désirait, chose bien raisonnable, que les intérêts évidemment communs fussent réglés par des décisions communes, exécutoires dans les deux parties du royaume-empire. La volonté de l’empereur et celle de la Hongrie étant en opposition complète, et aucun des deux ne consentant à céder, la transaction à laquelle on s’est arrêté a dû être nécessairement illusoire et pleine de contradictions. Elle ne pouvait guère être meilleure, et elle fait même honneur à l’esprit d’invention de ceux qui l’ont conçue ; seulement on poursuivait une chimère. On voulait une union qui fût plus que l’union personnelle et moins que l’union réelle, c’est-à-dire une chose sans nom, parce qu’elle ne peut exister. Ce que la Hongrie cédait d’une main, elle le retirait de l’autre ; elle n’acceptait les délégations qu’à la condition que l’exécution de leurs décisions lui appartînt, et si elle se soumettait au ministère central, c’est parce qu’il n’avait pas un seul fonctionnaire sous ses ordres.

L’Autriche ne sera définitivement constituée, n’existera comme